N° 268 février 2000
 

                                         La quête des origines

                                            PRÉSENCE DE L'HISTOIRE

                                                  (Texte intégral)

                                                  par Agnès lainé

                                            Certains anthropologues ont
                                          longtemps cherché des critères
                                         «scientifiques» pour valider de très
                                           anciennes convictions racistes,
                                            justifiant ainsi l'entreprise de
                                        colonisation des sociétés africaines.
 

Jusqu'à une date récente, la reconstitution de l'histoire ancienne des Africains a été faite
par des Occidentaux. Elle a été l'occasion d'un déploiement de scénarios étonnants et,
malgré l'entrée de ce continent dans le «concert des nations», la pensée scientifique se
débarrasse difficilement de cet héritage. Aujourd'hui, la science, l'Afrique et l'Occident ont
tout à gagner d'une critique historique de ces scénarios.

Depuis la découverte des charniers d'Auschwitz et leur intégration progressive dans la
mémoire collective, les pays d'Europe ont voulu croire que les hommes en avaient fini
avec le besoin d'affirmation par la race. Or, malgré les affirmations des généticiens et des
anthropologues selon lesquelles les races humaines biologiques n'existent pas, le concept
reste prégnant. Parmi les arguments utilisés par les tenants du racisme, certains sont
d'origine scientifique, et l'on s'interroge : comment en est-on arrivé là? Pour tenter de
répondre à cette question, nous avons réexaminé les travaux d'anthropologie relatifs aux
caractères génétiques des populations ; au milieu du XXe siècle, la recherche de critères
génétiques distinctifs avaient pris le relais sur l'étude de la morphologie et du squelette.

Sur le continent africain habitent des hommes que les Occidentaux, depuis le Moyen Âge,
considèrent comme des créatures appartenant aux limites du monde humain : mondes
lointains des limites de la mer, monde de l'étrange, de l'inconnu, du monstrueux. Dès cette
époque, Bible en main, on s'interroge sur leur filiation depuis Adam ou Abraham. Au XVIIIe
siècle, le siècle des grandes explorations maritimes à travers le monde, on étudie les
rapports entre Blancs, Jaunes et Noirs ; on cherche à classer l'homme, aussi bien que l'on
classe les milliers d'espèces de plantes et d'animaux décrites alors. Les caractères
morphologiques, l'interfécondité des groupes, les comportements individuels et sociaux,
ou encore les dispositions psychologiques, morales et intellectuelles sont observés,
recensés, classés et étudiés en tant que signes d'identité ou d'altérité.

Le volume et la forme des crânes
deviennent au XVIIIe siècle, mais
plus encore au XIXe, des «indices»
de l'intelligence humaine. Puis,
avec les théories de l'évolution, qui
s'imposent progressivement en
Europe et aux États-Unis à la fin
du XIXe siècle ou au début du XXe,
la question de la «mesure» de
l'intelligence se pose à nouveau.
Toutefois, quelle que soit la théorie
à laquelle on adhère, les Noirs sont
toujours considérés comme
inférieurs, physiquement selon des
critères esthétiques, mais aussi intellectuellement et moralement, ce que démontre leur
retard technologique, aune à laquelle l'Occident s'est habitué à évaluer le degré de
civilisation. Cette représentation péjorative est le fruit des conditions imposées aux Noirs
par les Occidentaux, du XVe au XIXe siècle : traite, esclavage et colonisation. Les
esclavagistes et les colons cherchent à justifier leur entreprise par des arguments
«scientifiques» (la race inférieure), moraux (la mission civilisatrice), politiques (le droit du
plus fort) et économiques (recherche de matières premières). Les Occidentaux des XIXe
et XXe siècles sont convaincus que l`«infériorité» des Noirs résulte d'une évolution
différente et séparée de celle des Européens. On cherche à donner à ces convictions
l'objectivité de la science.

Du milieu du XIXe siècle au début du XXe, une nouvelle discipline scientifique, la biométrie,
vise à répondre aux questions posées par la théorie darwinienne de l'évolution : comment
les caractères se transmettent-ils? Comment varient-ils d'une génération à l'autre?
Peut-on améliorer les «races» humaines par une politique de sélection? Quelques-uns des
principaux pionniers de cette discipline, notamment le biologiste Francis Galton, cousin de
Charles Darwin, le mathématicien Karl Pearson et le biologiste Ronald Fisher puisent dans
la théorie darwinienne et dans l'étude de la transmission des caractères héréditaires la
justification de la théorie eugéniste.

Groupes sanguins et hiérarchie raciale

Nourrie des principaux apports de la génétique, la biométrie devient la génétique des
populations. De son côté, l'immunologie progresse. Elle met à la disposition des
généticiens et des mathématiciens un nouvel outil pour leurs analyses : les groupes
sanguins. Les anthropologues rejoignent les généticiens, convaincus que des
classifications raciales judicieuses préciseraient les circonstances de l'évolution humaine
et la préhistoire des populations modernes. Les groupes sanguins, découverts en 1900 par
Karl Landsteiner semblent être l'outil nécessaire à l'étude de l'évolution (Landsteiner avait
observé que le sérum de certains prélèvements sanguins agglutine les hématies d'autres
échantillons de sang ; il en déduisit qu'il existe trois types de sang (a, b, o) qui contiennent
des substances spécifiques).

En 1919, un médecin de l'armée serbe, Ludwig Hirschfeld, publie un article considéré
comme l'acte de naissance de l'anthropologie génétique, où il étudie les réactions
d'agglutination du sang de soldats de cette armée, d'origines diverses. Constatant que plus
les soldats viennent de l'Est, plus ils ont de chances d'être du groupe b, et plus ils viennent
de l'Ouest, plus ils ont de chances d'être du groupe a (au centre, les proportions sont
intermédiaires), il conclut - bien prématurément! - que l'espèce humaine a deux origines :
l'une orientale, l'autre occidentale. Les analyses montrent aussi que les Africains sont plus
souvent que les autres du groupe o : certains y voient l'indice d'une race antérieure aux
mutations aboutissant aux groupes a et b.

Au cours des années suivantes, on étudie la répartition des groupes sanguins, puis des
groupes rhésus, découverts dans les années 1930. Or l'Afrique est très peu représentée
dans l'ensemble des enquêtes. Les informations proviennent des États-Unis, où les tests
sont réalisés sur des Américains d'origine africaine, ou bien d'Afrique du Sud : la génétique
appliquée à l'étude des «races» intéresse surtout les pays confrontés à la présence
simultanée, sur leur territoire, de plusieurs grandes ethnies.

Quelques études sont réalisées en Afrique du Nord, notamment
en Égypte, mais aucune en Afrique subsaharienne. Pourtant, des
cartes de répartition des groupes sanguins sont tracées sur tout
le continent africain! En fait, ces lacunes reflètent des
conceptions anthropologiques antérieures. On se représente le
continent habité par des Blancs chamitiques au Nord, des
«Nègres», dont l'origine est discutée, et par une souche primitive
(Hottentots, Bochimans et Pygmées, parfois désignés par le
terme de Négrilles) disséminée en Afrique centrale et australe.

Les Noirs d'Afrique ont d'abord été considérés comme les
descendants de Cham, que son père Noé a maudit pour lui avoir
manqué de respect. Puis, au XIXe siècle, un réaménagement
biblique a fait de Cham l'ancêtre des Blancs d'Afrique. Les
populations chamitiques étaient considérées par l'historiographie
coloniale comme les descendants d'une branche aryenne
descendue vers l'Afrique à une époque indéterminée, aujourd'hui
métissée, mais dont la supériorité raciale leur aurait permis de
créer des foyers de civilisation en Égypte, en Éthiopie, mais
aussi dans divers royaumes, tel le Rwanda. L'historiographie
africaniste reste prisonnière, pendant des décennies, de ce
thème chamitique des invasions blanches civilisatrices, mais elle
permet aux colons européens de se présenter comme la
dernière vague de civilisateurs. Selon certains anthropologues,
les Bantous seraient le fruit d'un métissage entre des Bochimans et des Nègres, avec, à
plusieurs reprises, quelques apports de sang provenant de la vallée du Nil. Selon d'autres,
les Nègres seraient venus d'Asie par l'océan Indien.

Une hominisation... africaine

Or, après avoir longtemps situé l'origine des premiers hommes en Europe ou en Asie
centrale, le regard des chercheurs se déplace vers l'Afrique. La transition a lieu dans les
années 1950, après que les découvertes successives des australopithèques, d'Homo
erectus et d'Homo habilis, éventuellement associés à des outillages lithiques très primitifs,
rendent plausible l'hypothèse que le processus d'hominisation a eu lieu en Afrique.
Comment peut-on concilier cette origine géographique du genre humain avec une évolution
séparée des «races» humaines? Cette question est à l'arrière-plan de nombreux travaux
sur la biologie des peuples africains actuels qui sont devenus des fils d'Ariane remontant
vers la préhistoire. Bien sûr, l'absence de connaissances sur les étapes intermédiaires du
peuplement africain a laissé une place prépondérante à l'imaginaire.

Après 1950, les travaux sur la diversité humaine en Afrique se multiplient. Nous avons
recensé les articles portant sur l'étude génétique des populations africaines publiés de
1945 à 1984, soit 898 références bibliographiques. En étudiant les différents supports de
publication, les titres publiés, leur date de publication, la nationalité des auteurs, le lieu
d'édition, notamment, nous avons montré que les principaux pays publiant sur ce sujet
sont les puissances coloniales ou ex-coloniales (la Grande-Bretagne, la France, le
Portugal, la Belgique et l'Espagne), auxquelles s'ajoutent l'Afrique du Sud, les États-Unis et
la Suisse. Ces huit États publient 77 pour cent des titres. Les 208 communications
restantes sont rédigées par divers États de l'Afrique (le Kenya, Madagascar, le Zimbabwe,
l'Égypte), de l'Occident ou, plus récemment, de l'Asie (Japon). Près de la moitié de ces
travaux sont publiés dans des revues de médecine, surtout les revues de pathologie
tropicale françaises, belges et anglaises. Les autres paraissent dans des revues de
génétique, d'hématologie et d'anthropologie physique. Les chercheurs qui publient sont
essentiellement des médecins coloniaux, et des médecins de spécialités diverses
exerçant en milieu hospitalier, dans le cadre de la coopération. Ce sont très rarement des
anthropologues.

La grande majorité des travaux a été réalisée après l'indépendance des États, de sorte que
les données n'ont pas été dictées par la nécessité de justifier la colonisation. Toutefois, si
cela est vrai de la production des données génétiques et sérologiques, qu'en est-il des
interprétations? Durant les années 1950-1970, diverses hypothèses sur l'origine de
l'homme ou des peuples d'Afrique ont été avancées, alors que l'on ignorait les
innombrables polymorphismes génétiques (certains gènes existent sous plusieurs formes
qui codent des protéines ayant la même fonction, mais qui sont légèrement différentes) et
leur répartition. Ces synthèses étaient prématurées, mais reflétaient les interrogations et
les mentalités de l'époque.

En 1954, le médecin anglais Arthur Mourant, membre du laboratoire de recherche sur le
sang, à Londres, publie des tables qui rassemblent les données recueillies depuis le début
de l'hémotypologie. Ces tables, plusieurs fois remises à jour, sont la référence des
chercheurs de cette période. Un ouvrage publié en 1954 sur la répartition des groupes
sanguins montre que l'Afrique subsaharienne abrite des populations qui se distinguent des
autres populations du monde par des fréquences caractéristiques de certains gènes (et,
par conséquent, d'une fréquence élevée du groupe sanguin o et du groupe rhésus cDe).
Par ailleurs, on constate également une grande homogénéité des populations
subsahariennes, ce qui met à mal les typologies ethno-raciales antérieures. On doit
admettre que les groupes sanguins n'autorisent pas une discrimination des populations
chamitiques ; on ne peut retrouver leurs origines ni leur apport spécifique dans le
peuplement originel de l'Afrique.

Hémoglobine et typologie

Cette frustration stimule la recherche d'autres polymorphismes. À côté des groupes
sanguins, l'hémoglobine attire l'attention des généticiens. En effet, on avait repéré les effets
pathologiques de certaines hémoglobines sur des Américains d'origine africaine :
l'hémoglobine de type S est responsable de maladies génétiques, la drépanocytose (les
globules rouges ont une forme anormale) et la bêta-thalassémie (une anémie grave due à
une insuffisance de la synthèse de la globine, qui entre dans la composition de
l'hémoglobine). Or la répartition de ces hémoglobines est hétérogène, et certains
chercheurs pensent alors que les disparités coïncident avec les grandes classifications
anthropologiques. En 1949, le médecin britannique Hermann Lehmann, en exercice en
Ouganda, révèle des chiffres étonnants à partir desquels il propose un scénario pour
d'antiques migrations, une théorie ultérieurement qualifiée de classique. La proportion de
porteurs d'hémoglobine HbS semble très faible dans les tribus chamitiques, très élevée et
homogène chez les Nilotes (des populations du haut Nil), très variable chez les Bantous,
maximale chez les Pygmoïdes Baamba des monts de la Lune. En somme, plus on est
noir ou primitif, plus on a d'hémoglobine HbS.

En 1952, Lehmann rapporte les premières
données sur l'existence de l'hémoglobine
HbS dans des populations du Sud de l'Inde. Il
en déduit que l'hémoglobine HbS a été
importée en Afrique par des populations du
Sud de l'Inde dont les représentants actuels
seraient les Baambas. Curieusement,
Lehmann ne recherche pas ailleurs cette
hémoglobine, par exemple dans le Nord de
l'Inde, plus facile d'accès et où elle est
abondante. Lehmann cherche ensuite cette
hémoglobine en Australie, mais il ne l'y trouve
pas. L'hypothèse de Lehmann a été invalidée,
car on sait aujourd'hui que la répartition de
l'hémoglobine HbS résulte de plusieurs
mutations indépendantes, et des fortes
pressions sélectives exercées par le
paludisme (la composition biochimique des
globules rouges contenant cette hémoglobine
confère une certaine résistance au
paludisme). En fait, Lehmann se sert des
marqueurs génétiques pour conforter ses
convictions : le statut des systèmes
sanguins, encore très fragile, ne peut infirmer
des convictions issues de dizaines d'années
de racisme fondé sur l'anthropométrie.

Aussi les données sanguines ne sont-elles
reconnues que lorsqu'elles confirment les
acquis. Dans le cas contraire, les
discordances sont mises au compte des
aléas de la dérive génétique, ou encore d'une
pression de sélection indéterminée. C'est
pourquoi les systèmes sanguins ne remettent
pas en cause les classifications antérieures.
De surcroît, les représentations des
populations africaines qu'élaborent les
Occidentaux forment un corpus intouchable
qui fait partie intégrante d'un système
politique fonctionnel au sein duquel chaque
catégorie occupe une place précise.
Transformer ces représentations porterait
atteinte au système tout entier. Ce n'est pas
un hasard si elles changent lorsque les États
acquièrent leur indépendance.

En 1958, l'anthropologue américain Frank Livingstone publie un article sur les
conséquences anthropologiques de la répartition des gènes de la drépanocytose en
Afrique de l'Ouest. La génétique des peuples africains y paraît résulter, pour la première
fois, d'une confrontation avec un environnement façonné par l'homme. Les années 1960
marquent une transition : on abandonne progressivement les thèmes raciaux, ainsi que les
grandes synthèses simplistes, et l'on prend conscience de la complexité des équilibres
entre l'homme et son milieu. Les analyses globales sur les distances génétiques entre
populations prennent le pas sur l'étude des marqueurs isolés. Les monographies
régionales ou ethniques se multiplient. Les deux décennies suivantes confirment cette
rénovation. On étudie de nouveaux polymorphismes (notamment ceux des enzymes et
des anticorps) et l'on s'interdit désormais les classifications hâtives. Puis une nouvelle
période s'amorce avec le début des publications portant sur la typologie de fragments
d'ADN. Le marqueur devient le gène lui-même.

Nous avons examiné la production scientifique dans trois grandes régions, l'Afrique
orientale britannique et belge, et l'Afrique occidentale sous diverses administrations ; nous
avons montré que l'anthropologie biologique, qui, dans diverses régions, visait à affirmer la
suprématie du colon sur l'indigène, a également servi les besoins de l'ordonnancement
colonial quand les colons déléguaient leur pouvoir : dans certaines régions, ils pratiquaient
une forme de gestion indirecte des populations en s'appuyant sur une élite indigène, à
laquelle ils octroyaient des privilèges particuliers ; ce fut le cas en Ouganda, au Soudan, au
Rwanda, au Burundi, à Madagascar et au Nigeria. Cette organisation découlait d'un souci
de gestion efficace. Par la suite, les travaux scientifiques ont surtout entretenu les savoirs
établis, devenus constitutifs d'une culture coloniale locale ; les ethnologues - qui étaient au
service de l'administration coloniale - en étaient devenus les dépositaires et garantissaient
la cohésion du système. Cette situation eut de lourdes conséquences surtout dans les
territoires sous administration belge, qui allaient devenir le Rwanda et le Burundi.

De l'origine des conflits au Rwanda

Avant la colonisation, ces deux royaumes étaient dirigés par des lignages Tutsi, et les
Belges les maintiennent au pouvoir : ils sont considérés comme de lointains descendants
de pasteurs migrants chamitiques venus des marges de l'Éthiopie ou de la vallée du Nil,
supérieurs en race et en civilisation, car d'origine blanche ou méditerranéenne. Les colons
les assimilent à une élite, au détriment des autres catégories de la population, Hutu et Twa.
Bien qu'ils aient les mêmes caractères linguistiques et culturels que les Hutu, leur origine
chamitique a longtemps été un dogme bien ancré. Les premiers doutes sont apparus à la
fin des années 1950, notamment après les travaux de l'anthropologue français Jean
Hiernaux. Formé à la typologie du squelette, Jean Hiernaux a été l'un des premiers
anthropologues sur le terrain à utiliser les groupes sanguins pour les confronter aux
classifications anciennes. Or, durant quelques années, héritier de la raciologie antérieure,
à laquelle il adhère pleinement, on le voit tenter d'adapter à tout prix ses conclusions aux
conceptions établies. Cela est encore possible au début des années 1950, car les
connaissances sur les marqueurs sanguins sont encore balbutiantes, mais les
connaissances progressent et le doute s'installe : les Tutsi sont génétiquement identiques
aux autres Africains de la région, notamment aux Hutu. Toutefois, cette identité ne
deviendra explicite qu'au moment de l'indépendance de ces territoires. Dès les élections
de 1959, qui ont porté au pouvoir un parti hutu, les Tutsi rwandais fuient le pays par
milliers. Jusqu'au génocide de 1994, les membres du parti hutu ont considéré les Tutsis
comme des envahisseurs étrangers, des «Blancs en puissance», et ces thèmes ont
largement alimenté la propagande raciste appelant au meurtre et à l'extermination.

Cet exemple illustre l'étroite dépendance de l'anthropologie biologique et du contexte
politique, et la trop grande part de l'imaginaire dans les reconstructions de l'histoire
lointaine. Elle montre la nécessité d'une critique fondamentale, historique et méthodique
des travaux passés et présents, et du contexte qui les a produits. Les conclusions souvent
erronées de ces travaux constituent l'une des assises sur lesquelles se sont construites
les identités des peuples africains, des nations et des minorités ethniques.

Aujourd'hui, certains intellectuels africains, américains d'origine africaine ou antillais
publient des thèses sur l'histoire de l'Afrique. Elles représentent une révision de l'histoire en
réaction à l'histoire raciale écrite par les Blancs, en d'autres temps. Selon ces thèses,
confortées par la théorie de l'Ève africaine, l'humanité, à l'origine noire, aurait peuplé le
monde et engendré les premières grandes civilisations de l'Antiquité - l'Égypte en tout
premier lieu qui a influencé le monde hébreu et grec. Ces thèses ont redonné confiance
aux communautés noires dans leurs capacités et dans leurs destinées. Toutefois, par un
mécanisme de balancier, elles ont tendance à construire l'identité de ces communautés
par opposition aux Blancs en conservant un antagonisme qui s'est toujours révélé
excessif.
 
 

Agnès Lainé est chercheur associée au Centre de recherches africaines, cnrs-upresa
8054, dans l'équipe Mutations africaines dans la longue durée.
 

                              N° 268 février 2000
                            © Pour la Science (2000)

                  N° 268 février 2000
 

                                         La quête des origines

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