La quête des origines
PRÉSENCE DE L'HISTOIRE
(Texte intégral)
par Agnès lainé
Certains anthropologues ont
longtemps cherché des critères
«scientifiques» pour valider de très
anciennes convictions racistes,
justifiant ainsi l'entreprise de
colonisation des sociétés africaines.
Jusqu'à une date récente, la reconstitution de l'histoire
ancienne des Africains a été faite
par des Occidentaux. Elle a été l'occasion d'un déploiement
de scénarios étonnants et,
malgré l'entrée de ce continent dans le «concert
des nations», la pensée scientifique se
débarrasse difficilement de cet héritage. Aujourd'hui,
la science, l'Afrique et l'Occident ont
tout à gagner d'une critique historique de ces scénarios.
Depuis la découverte des charniers d'Auschwitz et leur intégration
progressive dans la
mémoire collective, les pays d'Europe ont voulu croire que les
hommes en avaient fini
avec le besoin d'affirmation par la race. Or, malgré les affirmations
des généticiens et des
anthropologues selon lesquelles les races humaines biologiques n'existent
pas, le concept
reste prégnant. Parmi les arguments utilisés par les
tenants du racisme, certains sont
d'origine scientifique, et l'on s'interroge : comment en est-on arrivé
là? Pour tenter de
répondre à cette question, nous avons réexaminé
les travaux d'anthropologie relatifs aux
caractères génétiques des populations ; au milieu
du XXe siècle, la recherche de critères
génétiques distinctifs avaient pris le relais sur l'étude
de la morphologie et du squelette.
Sur le continent africain habitent des hommes que les Occidentaux, depuis
le Moyen Âge,
considèrent comme des créatures appartenant aux limites
du monde humain : mondes
lointains des limites de la mer, monde de l'étrange, de l'inconnu,
du monstrueux. Dès cette
époque, Bible en main, on s'interroge sur leur filiation depuis
Adam ou Abraham. Au XVIIIe
siècle, le siècle des grandes explorations maritimes
à travers le monde, on étudie les
rapports entre Blancs, Jaunes et Noirs ; on cherche à classer
l'homme, aussi bien que l'on
classe les milliers d'espèces de plantes et d'animaux décrites
alors. Les caractères
morphologiques, l'interfécondité des groupes, les comportements
individuels et sociaux,
ou encore les dispositions psychologiques, morales et intellectuelles
sont observés,
recensés, classés et étudiés en tant que
signes d'identité ou d'altérité.
Le volume et la forme des crânes
deviennent au XVIIIe siècle, mais
plus encore au XIXe, des «indices»
de l'intelligence humaine. Puis,
avec les théories de l'évolution, qui
s'imposent progressivement en
Europe et aux États-Unis à la fin
du XIXe siècle ou au début du XXe,
la question de la «mesure» de
l'intelligence se pose à nouveau.
Toutefois, quelle que soit la théorie
à laquelle on adhère, les Noirs sont
toujours considérés comme
inférieurs, physiquement selon des
critères esthétiques, mais aussi intellectuellement et
moralement, ce que démontre leur
retard technologique, aune à laquelle l'Occident s'est habitué
à évaluer le degré de
civilisation. Cette représentation péjorative est le
fruit des conditions imposées aux Noirs
par les Occidentaux, du XVe au XIXe siècle : traite, esclavage
et colonisation. Les
esclavagistes et les colons cherchent à justifier leur entreprise
par des arguments
«scientifiques» (la race inférieure), moraux (la
mission civilisatrice), politiques (le droit du
plus fort) et économiques (recherche de matières premières).
Les Occidentaux des XIXe
et XXe siècles sont convaincus que l`«infériorité»
des Noirs résulte d'une évolution
différente et séparée de celle des Européens.
On cherche à donner à ces convictions
l'objectivité de la science.
Du milieu du XIXe siècle au début du XXe, une nouvelle
discipline scientifique, la biométrie,
vise à répondre aux questions posées par la théorie
darwinienne de l'évolution : comment
les caractères se transmettent-ils? Comment varient-ils d'une
génération à l'autre?
Peut-on améliorer les «races» humaines par une politique
de sélection? Quelques-uns des
principaux pionniers de cette discipline, notamment le biologiste Francis
Galton, cousin de
Charles Darwin, le mathématicien Karl Pearson et le biologiste
Ronald Fisher puisent dans
la théorie darwinienne et dans l'étude de la transmission
des caractères héréditaires la
justification de la théorie eugéniste.
Groupes sanguins et hiérarchie raciale
Nourrie des principaux apports de la génétique, la biométrie
devient la génétique des
populations. De son côté, l'immunologie progresse. Elle
met à la disposition des
généticiens et des mathématiciens un nouvel outil
pour leurs analyses : les groupes
sanguins. Les anthropologues rejoignent les généticiens,
convaincus que des
classifications raciales judicieuses préciseraient les circonstances
de l'évolution humaine
et la préhistoire des populations modernes. Les groupes sanguins,
découverts en 1900 par
Karl Landsteiner semblent être l'outil nécessaire à
l'étude de l'évolution (Landsteiner avait
observé que le sérum de certains prélèvements
sanguins agglutine les hématies d'autres
échantillons de sang ; il en déduisit qu'il existe trois
types de sang (a, b, o) qui contiennent
des substances spécifiques).
En 1919, un médecin de l'armée serbe, Ludwig Hirschfeld,
publie un article considéré
comme l'acte de naissance de l'anthropologie génétique,
où il étudie les réactions
d'agglutination du sang de soldats de cette armée, d'origines
diverses. Constatant que plus
les soldats viennent de l'Est, plus ils ont de chances d'être
du groupe b, et plus ils viennent
de l'Ouest, plus ils ont de chances d'être du groupe a (au centre,
les proportions sont
intermédiaires), il conclut - bien prématurément!
- que l'espèce humaine a deux origines :
l'une orientale, l'autre occidentale. Les analyses montrent aussi que
les Africains sont plus
souvent que les autres du groupe o : certains y voient l'indice d'une
race antérieure aux
mutations aboutissant aux groupes a et b.
Au cours des années suivantes, on étudie la répartition
des groupes sanguins, puis des
groupes rhésus, découverts dans les années 1930.
Or l'Afrique est très peu représentée
dans l'ensemble des enquêtes. Les informations proviennent des
États-Unis, où les tests
sont réalisés sur des Américains d'origine africaine,
ou bien d'Afrique du Sud : la génétique
appliquée à l'étude des «races» intéresse
surtout les pays confrontés à la présence
simultanée, sur leur territoire, de plusieurs grandes ethnies.
Quelques études sont réalisées en Afrique du Nord,
notamment
en Égypte, mais aucune en Afrique subsaharienne. Pourtant, des
cartes de répartition des groupes sanguins sont tracées
sur tout
le continent africain! En fait, ces lacunes reflètent des
conceptions anthropologiques antérieures. On se représente
le
continent habité par des Blancs chamitiques au Nord, des
«Nègres», dont l'origine est discutée, et
par une souche primitive
(Hottentots, Bochimans et Pygmées, parfois désignés
par le
terme de Négrilles) disséminée en Afrique centrale
et australe.
Les Noirs d'Afrique ont d'abord été considérés
comme les
descendants de Cham, que son père Noé a maudit pour lui
avoir
manqué de respect. Puis, au XIXe siècle, un réaménagement
biblique a fait de Cham l'ancêtre des Blancs d'Afrique. Les
populations chamitiques étaient considérées par
l'historiographie
coloniale comme les descendants d'une branche aryenne
descendue vers l'Afrique à une époque indéterminée,
aujourd'hui
métissée, mais dont la supériorité raciale
leur aurait permis de
créer des foyers de civilisation en Égypte, en Éthiopie,
mais
aussi dans divers royaumes, tel le Rwanda. L'historiographie
africaniste reste prisonnière, pendant des décennies,
de ce
thème chamitique des invasions blanches civilisatrices, mais
elle
permet aux colons européens de se présenter comme la
dernière vague de civilisateurs. Selon certains anthropologues,
les Bantous seraient le fruit d'un métissage entre des Bochimans
et des Nègres, avec, à
plusieurs reprises, quelques apports de sang provenant de la vallée
du Nil. Selon d'autres,
les Nègres seraient venus d'Asie par l'océan Indien.
Une hominisation... africaine
Or, après avoir longtemps situé l'origine des premiers
hommes en Europe ou en Asie
centrale, le regard des chercheurs se déplace vers l'Afrique.
La transition a lieu dans les
années 1950, après que les découvertes successives
des australopithèques, d'Homo
erectus et d'Homo habilis, éventuellement associés à
des outillages lithiques très primitifs,
rendent plausible l'hypothèse que le processus d'hominisation
a eu lieu en Afrique.
Comment peut-on concilier cette origine géographique du genre
humain avec une évolution
séparée des «races» humaines? Cette question
est à l'arrière-plan de nombreux travaux
sur la biologie des peuples africains actuels qui sont devenus des
fils d'Ariane remontant
vers la préhistoire. Bien sûr, l'absence de connaissances
sur les étapes intermédiaires du
peuplement africain a laissé une place prépondérante
à l'imaginaire.
Après 1950, les travaux sur la diversité humaine en Afrique
se multiplient. Nous avons
recensé les articles portant sur l'étude génétique
des populations africaines publiés de
1945 à 1984, soit 898 références bibliographiques.
En étudiant les différents supports de
publication, les titres publiés, leur date de publication, la
nationalité des auteurs, le lieu
d'édition, notamment, nous avons montré que les principaux
pays publiant sur ce sujet
sont les puissances coloniales ou ex-coloniales (la Grande-Bretagne,
la France, le
Portugal, la Belgique et l'Espagne), auxquelles s'ajoutent l'Afrique
du Sud, les États-Unis et
la Suisse. Ces huit États publient 77 pour cent des titres.
Les 208 communications
restantes sont rédigées par divers États de l'Afrique
(le Kenya, Madagascar, le Zimbabwe,
l'Égypte), de l'Occident ou, plus récemment, de l'Asie
(Japon). Près de la moitié de ces
travaux sont publiés dans des revues de médecine, surtout
les revues de pathologie
tropicale françaises, belges et anglaises. Les autres paraissent
dans des revues de
génétique, d'hématologie et d'anthropologie physique.
Les chercheurs qui publient sont
essentiellement des médecins coloniaux, et des médecins
de spécialités diverses
exerçant en milieu hospitalier, dans le cadre de la coopération.
Ce sont très rarement des
anthropologues.
La grande majorité des travaux a été réalisée
après l'indépendance des États, de sorte que
les données n'ont pas été dictées par la
nécessité de justifier la colonisation. Toutefois, si
cela est vrai de la production des données génétiques
et sérologiques, qu'en est-il des
interprétations? Durant les années 1950-1970, diverses
hypothèses sur l'origine de
l'homme ou des peuples d'Afrique ont été avancées,
alors que l'on ignorait les
innombrables polymorphismes génétiques (certains gènes
existent sous plusieurs formes
qui codent des protéines ayant la même fonction, mais
qui sont légèrement différentes) et
leur répartition. Ces synthèses étaient prématurées,
mais reflétaient les interrogations et
les mentalités de l'époque.
En 1954, le médecin anglais Arthur Mourant, membre du laboratoire
de recherche sur le
sang, à Londres, publie des tables qui rassemblent les données
recueillies depuis le début
de l'hémotypologie. Ces tables, plusieurs fois remises à
jour, sont la référence des
chercheurs de cette période. Un ouvrage publié en 1954
sur la répartition des groupes
sanguins montre que l'Afrique subsaharienne abrite des populations
qui se distinguent des
autres populations du monde par des fréquences caractéristiques
de certains gènes (et,
par conséquent, d'une fréquence élevée
du groupe sanguin o et du groupe rhésus cDe).
Par ailleurs, on constate également une grande homogénéité
des populations
subsahariennes, ce qui met à mal les typologies ethno-raciales
antérieures. On doit
admettre que les groupes sanguins n'autorisent pas une discrimination
des populations
chamitiques ; on ne peut retrouver leurs origines ni leur apport spécifique
dans le
peuplement originel de l'Afrique.
Hémoglobine et typologie
Cette frustration stimule la recherche d'autres polymorphismes. À
côté des groupes
sanguins, l'hémoglobine attire l'attention des généticiens.
En effet, on avait repéré les effets
pathologiques de certaines hémoglobines sur des Américains
d'origine africaine :
l'hémoglobine de type S est responsable de maladies génétiques,
la drépanocytose (les
globules rouges ont une forme anormale) et la bêta-thalassémie
(une anémie grave due à
une insuffisance de la synthèse de la globine, qui entre dans
la composition de
l'hémoglobine). Or la répartition de ces hémoglobines
est hétérogène, et certains
chercheurs pensent alors que les disparités coïncident
avec les grandes classifications
anthropologiques. En 1949, le médecin britannique Hermann Lehmann,
en exercice en
Ouganda, révèle des chiffres étonnants à
partir desquels il propose un scénario pour
d'antiques migrations, une théorie ultérieurement qualifiée
de classique. La proportion de
porteurs d'hémoglobine HbS semble très faible dans les
tribus chamitiques, très élevée et
homogène chez les Nilotes (des populations du haut Nil), très
variable chez les Bantous,
maximale chez les Pygmoïdes Baamba des monts de la Lune. En somme,
plus on est
noir ou primitif, plus on a d'hémoglobine HbS.
En 1952, Lehmann rapporte les premières
données sur l'existence de l'hémoglobine
HbS dans des populations du Sud de l'Inde. Il
en déduit que l'hémoglobine HbS a été
importée en Afrique par des populations du
Sud de l'Inde dont les représentants actuels
seraient les Baambas. Curieusement,
Lehmann ne recherche pas ailleurs cette
hémoglobine, par exemple dans le Nord de
l'Inde, plus facile d'accès et où elle est
abondante. Lehmann cherche ensuite cette
hémoglobine en Australie, mais il ne l'y trouve
pas. L'hypothèse de Lehmann a été invalidée,
car on sait aujourd'hui que la répartition de
l'hémoglobine HbS résulte de plusieurs
mutations indépendantes, et des fortes
pressions sélectives exercées par le
paludisme (la composition biochimique des
globules rouges contenant cette hémoglobine
confère une certaine résistance au
paludisme). En fait, Lehmann se sert des
marqueurs génétiques pour conforter ses
convictions : le statut des systèmes
sanguins, encore très fragile, ne peut infirmer
des convictions issues de dizaines d'années
de racisme fondé sur l'anthropométrie.
Aussi les données sanguines ne sont-elles
reconnues que lorsqu'elles confirment les
acquis. Dans le cas contraire, les
discordances sont mises au compte des
aléas de la dérive génétique, ou encore
d'une
pression de sélection indéterminée. C'est
pourquoi les systèmes sanguins ne remettent
pas en cause les classifications antérieures.
De surcroît, les représentations des
populations africaines qu'élaborent les
Occidentaux forment un corpus intouchable
qui fait partie intégrante d'un système
politique fonctionnel au sein duquel chaque
catégorie occupe une place précise.
Transformer ces représentations porterait
atteinte au système tout entier. Ce n'est pas
un hasard si elles changent lorsque les États
acquièrent leur indépendance.
En 1958, l'anthropologue américain Frank Livingstone publie un
article sur les
conséquences anthropologiques de la répartition des gènes
de la drépanocytose en
Afrique de l'Ouest. La génétique des peuples africains
y paraît résulter, pour la première
fois, d'une confrontation avec un environnement façonné
par l'homme. Les années 1960
marquent une transition : on abandonne progressivement les thèmes
raciaux, ainsi que les
grandes synthèses simplistes, et l'on prend conscience de la
complexité des équilibres
entre l'homme et son milieu. Les analyses globales sur les distances
génétiques entre
populations prennent le pas sur l'étude des marqueurs isolés.
Les monographies
régionales ou ethniques se multiplient. Les deux décennies
suivantes confirment cette
rénovation. On étudie de nouveaux polymorphismes (notamment
ceux des enzymes et
des anticorps) et l'on s'interdit désormais les classifications
hâtives. Puis une nouvelle
période s'amorce avec le début des publications portant
sur la typologie de fragments
d'ADN. Le marqueur devient le gène lui-même.
Nous avons examiné la production scientifique dans trois grandes
régions, l'Afrique
orientale britannique et belge, et l'Afrique occidentale sous diverses
administrations ; nous
avons montré que l'anthropologie biologique, qui, dans diverses
régions, visait à affirmer la
suprématie du colon sur l'indigène, a également
servi les besoins de l'ordonnancement
colonial quand les colons déléguaient leur pouvoir :
dans certaines régions, ils pratiquaient
une forme de gestion indirecte des populations en s'appuyant sur une
élite indigène, à
laquelle ils octroyaient des privilèges particuliers ; ce fut
le cas en Ouganda, au Soudan, au
Rwanda, au Burundi, à Madagascar et au Nigeria. Cette organisation
découlait d'un souci
de gestion efficace. Par la suite, les travaux scientifiques ont surtout
entretenu les savoirs
établis, devenus constitutifs d'une culture coloniale locale
; les ethnologues - qui étaient au
service de l'administration coloniale - en étaient devenus les
dépositaires et garantissaient
la cohésion du système. Cette situation eut de lourdes
conséquences surtout dans les
territoires sous administration belge, qui allaient devenir le Rwanda
et le Burundi.
De l'origine des conflits au Rwanda
Avant la colonisation, ces deux royaumes étaient dirigés
par des lignages Tutsi, et les
Belges les maintiennent au pouvoir : ils sont considérés
comme de lointains descendants
de pasteurs migrants chamitiques venus des marges de l'Éthiopie
ou de la vallée du Nil,
supérieurs en race et en civilisation, car d'origine blanche
ou méditerranéenne. Les colons
les assimilent à une élite, au détriment des autres
catégories de la population, Hutu et Twa.
Bien qu'ils aient les mêmes caractères linguistiques et
culturels que les Hutu, leur origine
chamitique a longtemps été un dogme bien ancré.
Les premiers doutes sont apparus à la
fin des années 1950, notamment après les travaux de l'anthropologue
français Jean
Hiernaux. Formé à la typologie du squelette, Jean Hiernaux
a été l'un des premiers
anthropologues sur le terrain à utiliser les groupes sanguins
pour les confronter aux
classifications anciennes. Or, durant quelques années, héritier
de la raciologie antérieure,
à laquelle il adhère pleinement, on le voit tenter d'adapter
à tout prix ses conclusions aux
conceptions établies. Cela est encore possible au début
des années 1950, car les
connaissances sur les marqueurs sanguins sont encore balbutiantes,
mais les
connaissances progressent et le doute s'installe : les Tutsi sont génétiquement
identiques
aux autres Africains de la région, notamment aux Hutu. Toutefois,
cette identité ne
deviendra explicite qu'au moment de l'indépendance de ces territoires.
Dès les élections
de 1959, qui ont porté au pouvoir un parti hutu, les Tutsi rwandais
fuient le pays par
milliers. Jusqu'au génocide de 1994, les membres du parti hutu
ont considéré les Tutsis
comme des envahisseurs étrangers, des «Blancs en puissance»,
et ces thèmes ont
largement alimenté la propagande raciste appelant au meurtre
et à l'extermination.
Cet exemple illustre l'étroite dépendance de l'anthropologie
biologique et du contexte
politique, et la trop grande part de l'imaginaire dans les reconstructions
de l'histoire
lointaine. Elle montre la nécessité d'une critique fondamentale,
historique et méthodique
des travaux passés et présents, et du contexte qui les
a produits. Les conclusions souvent
erronées de ces travaux constituent l'une des assises sur lesquelles
se sont construites
les identités des peuples africains, des nations et des minorités
ethniques.
Aujourd'hui, certains intellectuels africains, américains d'origine
africaine ou antillais
publient des thèses sur l'histoire de l'Afrique. Elles représentent
une révision de l'histoire en
réaction à l'histoire raciale écrite par les Blancs,
en d'autres temps. Selon ces thèses,
confortées par la théorie de l'Ève africaine,
l'humanité, à l'origine noire, aurait peuplé le
monde et engendré les premières grandes civilisations
de l'Antiquité - l'Égypte en tout
premier lieu qui a influencé le monde hébreu et grec.
Ces thèses ont redonné confiance
aux communautés noires dans leurs capacités et dans leurs
destinées. Toutefois, par un
mécanisme de balancier, elles ont tendance à construire
l'identité de ces communautés
par opposition aux Blancs en conservant un antagonisme qui s'est toujours
révélé
excessif.
Agnès Lainé est chercheur associée au Centre de
recherches africaines, cnrs-upresa
8054, dans l'équipe Mutations africaines dans la longue durée.
N° 268 février 2000
© Pour la Science (2000)
N° 268 février 2000
La quête des origines
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