HYMNES ET ÉCRITS
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TABLE DE MATIÈRE
Sur les vices et sur les vertus
Sur la Résurrection et le Jugement
Homélie sur la divine Transfiguration de notre Seigneur
Discours de polémique
Discours sur l'enfantement de la Vierge
Six hymnes sur la virginité
Lettre
INTRODUCTION
Les preuves fatiguent la vérité; de même, se fatiguent
les écrits des pères par une
surcharge de commentaires qui sont à la mode de nos jours. Quand
nos pères ont mis
par écrit leurs paroles, nul commentaire ne les accompagnait
et pourtant les lecteurs
de cette époque avaient bien saisi leur contenu car ils vivaient
la même spiritualité et
ne se contentaient pas de lire en spectateur. C'est donc en vivant
ce que nos pères
ont vécu que nous nous mettons sur la même longueur d'ondes
et que tout nous
devient clair et limpide telle une source qui jaillit du rocher et
qui désaltère celui qui a
soif. Pourtant on ne fera pas boire à un âne qui n'a pas
soif. Qu'on m'excuse cette
métaphore, qui est un peu directe mais qui me brûle les
lèvres.
Ces écrits de saint Ephrem sont repris d'une traduction de 1838
: "Chefs-d'oeuvres
des pères de l'Église", dont j'ignore l'auteur, car le
premier volume me manque. Nous
l'avons seulement mis en français moderne et le présentons
comme une publication
pastorale qui vise avant tout l'édification.
Je clos ces quelques mots d'accompagnement avec un passage de la Vie
du saint : "La
grâce du saint Esprit le remplissait avec une telle profusion
que, lorsqu'il s'adressait
au peuple, sa langue n'avait pas le temps de proférer les pensées
célestes que Dieu
lui inspirait, et il semblait comme pris de bégaiement. C'est
pourquoi il adressa à
Dieu cette prière peu commune, en disant : 'Retiens, Seigneur,
les flots de ta grâce'!"
(Synaxaire du 28 Janvier)
hm. Cassien
Sans cesse, méditant sur l'heure du Jugement,
tu versais d'amères larmes, toi, l'ami du silence
et de la paix;
tes oeuvres, vénérable père, ont fait de toi
un maître d'action,
un docteur oecuménique : par toi les négligents
sont éveillés au repentir.
Kondakion de saint Ephrem
SUR LES VICES ET SUR LES VERTUS
1. Des passions de l'âme
C'est en présence de ta Majesté, Jésus Christ,
mon Sauveur, que je veux dérouler le
tableau des amertumes de mon âme, sa malice et sa folie. Mais
je publierai en même
temps la bonté, la douceur que Tu as fait éclater en
moi, Dieu plein de clémence, qui
aimes l'homme. Dès le sein de ma mère, j'ai semé
la discorde, j'ai allumé la haine :
contempteur malheureux de ta Grâce, je me suis traîné
péniblement et avec lenteur
dans la route du bien. Mais Toi, Seigneur, en fouillant dans le trésor
de tes
Miséricordes, Tu n'y as trouvé, Fils de Dieu, que du
mépris pour mes outrages. Ta
grâce, Seigneur, me fait lever la tête, que chaque jour
le poids de mes péchés
abaisse vers la terre. C'est ta grâce encore qui me sollicite
et m'appelle à la vie
éternelle, mais je cours à la mort d'un pas précipité.
Je cède, sans combattre, à la
détestable habitude de la paresse qui m'entraîne. Oui,
l'habitude des passions est
chose cruelle et funeste; car elle presse l'esprit de liens presque
indissolubles, et ces
liens, je les aime, je leur tends les mains, parce que je me plais
à m'en charger.
L'habitude me les rend aimables, et je tressaille de joie dans mes
chaînes. Plongé
dans l'abîme d'iniquité, la joie me sourit encore. L'ennemi
renouvelle tous les jours
mes fers, car il voit que leur variété me charme. Mais
le fourbe se garde bien de
m'attacher avec ceux qui me déplaisent; c'est toujours avec
ceux que j'aime qu'il
m'enchaîne. Il connaît, en effet, toute l'impétuosité
de mes désirs, toute la vivacité
de mes passions, et, plus rapide que le regard, sa main me jette les
liens qu'il veut.
Alors je soupire, je pleure, je gémis! O honte! ô confusion!
ces fers qui me pressent,
c'est ma propre volonté qui les a rivés. Je pourrais
les rompre, je pourrais, en un
moment, m'arracher à leurs étreintes, je ne le veux pas;
la lâcheté, qui a brisé en
moi toute énergie, me retient sous le joug des passions que
l'habitude me rend
naturelles et volontaires. Mais ce qu'il y a de plus fâcheux,
de plus insupportable, ce
qui ajoute à ma honte et à ma douleur, c'est que je prête
à mon ennemi le concours
de ma volonté. Les chaînes qui me lient, c'est de lui
que je les ai reçues; ces passions
qui me tuent font sa joie et son plaisir. Je pourrais m'affranchir
de cette servitude, et
je ne le veux pas; il m'est facile de reconquérir ma liberté,
et je n'y mets aucun
empressement. Où trouver une affliction plus amère
? Y eut-il jamais rien de plus
honteux, de flétrissure plus grande ? Oui, je l'affirme,
de toutes les conditions, la plus
déplorable, la plus avilissante, c'est celle d'un homme forcé
d'accomplir la volonté de
son ennemi. En effet, je connais mes liens, je les sens; et cependant
à chaque heure
je travaille à en dérober le spectacle aux yeux des autres,
en le cachant sous le
manteau de la piété; mais ma conscience m'accuse et me
reproche tous les jours ma
faiblesse : "Malheureux! pourquoi n'es-tu ni sobre ni vigilant
? Ignores-tu que le jour
terrible du Jugement est proche; qu'il est venu enfin ce moment redoutable
où tous
les voiles doivent tomber ? Lève-toi dans ta force, brise
tes chaînes; tu as en toi le
pouvoir de lier et de délier."
Malgré ces cris de ma conscience, malgré ces reproches,
je ne veux pourtant pas
m'arracher à mon esclavage en rompant de honteuses entraves.
Chaque jour, je les
baigne de mes pleurs, chaque jour des sanglots sortent de ma poitrine,
et chaque
jour me retrouve sous l'empire des mêmes passions et agité
des mêmes troubles.
Malheureux et lâche tout à la fois, je ne fais rien pour
le salut de mon âme, et je ne
crains pas de tomber dans les filets de la mort. Je jette sur mon corps
un beau
vêtement de religion et de piété, et mon âme
est flétrie par des honteuses pensées
qui l'enchaînent. Au dehors, sous les yeux des autres hommes,
j'affecte un zèle
ardent pour la vertu; au dedans, une bête féroce semble
rugir, triste image de mes
désordres. J'ai sur mes lèvres des paroles affectueuses
et douces, et cependant il n'y
a dans ma volonté qu'aigreur, amertume et perversité.
Que ferai-je toutefois, quand,
au jour du Jugement, Dieu, fouillant dans toutes ces turpitudes, les
étalera devant
son tribunal ? Je le sais, les plus grands supplices m'attendent,
si mes larmes ici-bas
ne désarment pas le souverain Juge. Toujours miséricordieux,
Il suspend son arrêt,
parce qu'Il attend que je revienne à Lui. Désirant en
effet que tous les hommes
entrent dans la vie éternelle, Il ne veut voir personne brûler
dans les flammes. Eh
bien donc, Seigneur, Fils seul-engendré de Dieu, plein de confiance
dans ta Bonté
généreuse, me voici suppliant à tes Pieds, daigne,
je T'en conjure humblement,
tourner les yeux sur moi. Délivre mon âme de sa prison
d'iniquité, fais briller dans
mon coeur un rayon de la céleste lumière, avant que je
paraisse devant le Tribunal
redoutable qui m'attend, où le repentir ne pourra plus se faire
entendre, où le regret
sera impuissant. Deux pensées m'assiègent tour à
tour : m'affranchir des liens du
corps ou ne plus pécher. Mais soudain, malheureux que je suis!
la crainte me saisit et
m'arrête : comment, sans y être préparé,
me soustraire à l'arrêt de mon Juge, moi
qui suis sans vertu ?
Déchiré par de mortelles angoisses, je crains de demeurer
dans la chair, je crains
d'en sortir, et j'ignore lequel de ces deux partis je dois adopter;
car, je le vois, je suis
lent à me porter au bien. C'est pourquoi je tremble à
l'idée de demeurer dans cette
chair de péché. Je marche tous les jours environné
de pièges, et j'offre l'image d'un
marchand sans énergie et sans courage, qui, à toute heure,
voit se perdre le fond de
son argent et l'intérêt. C'est ainsi que m'échappent
les trésors célestes, embarrassé
que je suis dans les affaires de la vie, qui m'entraînent au
mal. En effet, je sens en
moi-même qu'à chaque instant du jour je suis le jouet
des illusions qui m'abusent, et
que je me laisse prendre, malgré moi, aux choses que je hais.
Je suis en extase
devant la perpétuelle beauté des créatures, et
je frémis, au milieu de ce merveilleux
spectacle, de la difformité, de la laideur de mon âme;
je frémis de cette volonté
perverse qui me pousse au mal, et de ces inclinations honteuses qui
sans cesse me
jettent dans le péché, même au sein de l'affliction;
je frémis de la pénitence que je
m'impose tous les jours, quand je vois qu'elle n'a pas de fondement
solide; car ce
fondement, je le pose tous les jours, et tous les jours je le renverse
de mes propres
mains.
Non, la pénitence n'a point encore jeté en moi de profondes
racines; il y a encore
dans mon coeur une pernicieuse mollesse; je suis esclave de ma lâcheté,
et, docile à
la volonté de mon ennemi, je m'empresse d'accomplir tout ce
qui peut lui plaire. "Qui
fera de ma tête une source intarissable d'eau, de mes yeux une
fontaine de larmes"
(Jr 9,1), qui coule sans cesse, pour que je pleure devant le Dieu de
miséricorde, et
qu'en répandant sur moi les bienfaits de sa Grâce, Il
m'arrache à cette mer furieuse
dont les flots bouleversent mon âme, et à ces tempêtes
de péché qui grondent à
toute heure sur ma tête ? Le mal triomphe de mes efforts,
mes passions victorieuses
le rendent incurable. L'espoir de la pénitence, voilà
mon attente; mais trompé par ses
vaines promesses, à quel degré d'abaissement ne suis-je
pas descendu ? Toujours
retenu par cette illusion décevante, j'ai le mot de pénitence
sur les lèvres, mais
jamais je n'en atteins la vertu; à m'entendre on croirait qu'elle
m'exerce par les plus
pénibles travaux, tandis que mes oeuvres m'en éloignent
sans cesse. La fortune
vient-elle me sourire ? tout succède-t-il au gré
de mes désirs ? je m'oublie
promptement moi-même; mais que le malheur me frappe, soudain
je me répands en
murmures. Trésors de sainteté, consacrés à
jamais au Seigneur, nos pères ont eu à
soutenir les rudes épreuves de la douleur et de la tentation,
et la main de Dieu a
tressé sur leurs fronts la couronne immortelle. Après
avoir conquis par la souffrance
un renom glorieux, ils sont devenus pour les âges suivants des
modèles parfaits et
révérés. Souvent, en considérant, parmi
les patriarches et les saints, le chaste
Joseph, cet homme tout brûlant d'amour pour le Très-Haut,
doué de charmes tout
célestes, et dans lequel la modestie s'alliait aux grâces
du corps, j'admire la sublime
patience dont il s'était armé contre les tentations.
Ni la sombre jalousie de ses frères,
ni l'envie ne purent altérer la pureté de son âme,
et ce serpent plein de ruses et de
malices, ne put, du fond de son repaire, terne l'éclat de sa
beauté. Il tenait ses yeux
attachés sur lui pour le souiller de l'odieux venin de sa malignité.
La prison et les
chaînes ne peuvent non plus ébranler son courage, ni flétrir,
en sa brillante fleur, la
jeunesse de cet enfant qui dès lors s'était dévoué
à son Dieu. Et moi, infortuné que je
suis! sans avoir eu à lutter contre la tentation, je pèche
cependant, et j'irrite la colère
de mon Dieu, après avoir éprouvé mille fois les
heureux effets de sa Miséricorde
ineffable; je viens encore te supplier, mon Dieu! j'implore à
genoux ton immense
Bonté! Puisse ta grâce, comme une source inépuisable,
baigner mon coeur de son eau
salutaire! puissent mon coeur et ma bouche devenir le temple saint,
le pur sanctuaire
où descende le Roi du ciel! puissent les mauvaises pensées,
les désirs coupables en
être à jamais bannis, et qu'ils ne soient plus une caverne
de scélérats et de voleurs!
que ma langue résonne, comme une lyre, sous ton Doigt divin,
qu'elle chante tes
Louanges et ta Gloire; que pendant tout le cours de ma vie, je ne cesse
de T'offrir, de
coeur et de bouche, l'hommage respectueux du plus sincère amour.
L'homme qui
tarde, Seigneur, à célébrer ton Nom, et qui ne
le fait qu'avec indifférence et tiédeur,
est exclu de la vie future.
Jésus-Christ, mon Sauveur, exauce ma prière; oui, que
ma langue, lyre aux sons
mélodieux, fasse retentir partout la puissance de ta grâce,
afin que je puisse
expliquer à la terre, dans mes écrits tout imparfaits
qu'ils sont, ton saint Évangile, et
que, sous l'abri de ta Main, je mérite d'être sauvé
encore une fois, quand la majesté
de ta Gloire remplira d'effroi toutes les créatures. Seigneur,
Fils seul-engendré de
Dieu, reçois, comme un don, la prière de ton serviteur.
Je suis un pécheur, mais un
pécheur sauvé par ta Grâce. Gloire soit rendue
à Celui qui sauve le pécheur dans sa
Miséricorde!
2. Que les chrétiens doivent s'abstenir
des divertissements
mondains; de l'amour des pauvres.
Nous savons tous, mes frères, que les chrétiens ne doivent
point perdre leur temps à
des divertissements mondains. C'est ce que nous enseigne l'Écriture
et surtout
l'Évangile, dans ces paroles menaçantes du Seigneur :
"Malheur à vous qui riez
maintenant, parce que vous pleurerez et vous gémirez!" (Lc 6,25).
Et dans un autre
passage : "Ne vous abandonnez point aux folles dissipations que
recherchent les gens
de ce monde!" (Lc 12,29-30). Le prophète Isaïe dit, ou
plutôt Dieu dit par la bouche
de ce prophète : "Malheur à ceux qui boivent le vin au
bruit des tambours, au son des
flûtes et des harpes!" (Is 5,11-12). Le saint roi David, qui
regarde l'orgueil comme
une abomination et qui se glorifie toujours dans le Seigneur, disait
: "Seigneur, mon
coeur ne s'est jamais enflé, et mes yeux ne se sont jamais levés
avec orgueil" (Ps
130,1). "Pleurez et gémissez, dit saint Jacques, le frère
du Seigneur, car votre rire se
changerait en cris douloureux et votre joie en amertume" (Jc 4,9).
Le bienheureux
apôtre Paul va même jusqu'à appeler idolâtres
ceux qui se livrent à des jeux frivoles :
"Ne devenez point des idolâtres comme il est écrit" (1
Co 10,7). Puis il ajoute : "Que
nul mauvais discours ne sorte de votre bouche; mais qu'il n'en sorte
que de bons
discours." (Ep 4, 29). "Soit que vous mangiez, soit que vous buviez,
quelque chose
que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu" (1 Co 10,31).
Et plus loin : "Mes
frères, soyez les imitateurs de Dieu et marchez dans la charité.
Qu'on n'entende
parler parmi vous ni de fornication, ni d'impureté, ni d'avarice;
qu'on n'entende parmi
vous ni parole infâme, ni raillerie, ni bouffonnerie, ni rien
de semblable; mais qu'on y
entende plutôt des paroles d'actions de grâces" (Ep 5,
1-4). Le même précepte se
trouve dans une foule d'autres passages de l'Écriture; mais
personne ne sait la
comprendre. Et c'est ainsi que s'accomplit en nous la parole du Seigneur
: "Vous êtes
dans l'erreur, parce que vous ignorez les Écritures" (Mt 22,29).
Et c'est encore ainsi
que s'accomplit cette prophétie de saint Paul : "Un jour viendra
qu'ils ne pourront plus
supporter la saine doctrine; dans leur curiosité effrénée
ils rassembleront autour
d'eux des maîtres dont les paroles sonnent agréablement
aux oreilles, et ils
fermeront leurs oreilles à la vérité, et ils se
détourneront pour chercher le mensonge"
(2 Tm 4, 3-4). C'est ce qui nous arrive, mes frères, et nous
voyons ces paroles se
réaliser en nous-mêmes.
Or, qui pratique aujourd'hui les saintes Écritures ? Qui
se montre docile aux
préceptes de Jésus Christ ? "Qui aura la sagesse
et qui gardera les commandements
du Seigneur ?" (Ps 106,43) dit le psalmiste. Qui nous montrera
que nous ne sommes
pas des prévaricateurs ? Il y a beaucoup de puissants,
beaucoup de sages selon la
chair; il y a beaucoup de nobles, beaucoup de savants, beaucoup de
scribes, de
légistes et de docteurs, beaucoup de riches et de pauvres, beaucoup
d'esclaves et
d'hommes libres, beaucoup de solitaires et de vierges, beaucoup de
gens du monde,
beaucoup de vieillards et d'enfants; mais y en a-t-il un seul parmi
eux qui puisse nous
montrer qu'il convienne à des chrétiens de pincer la
harpe, de danser, de jouer des
cymbales ou de la flûte, d'exprimer sa joie par de bruyants applaudissements,
de
recourir à la divination, de fabriquer des talismans mystérieux
et de les porter
partout avec soi, de consulter les démons, de s'enivrer, ou
enfin de tolérer ceux qui
se livrent à ces impiétés ? Or quels sont
les maîtres qui vous ont appris que de si
coupables occupations conviennent à des chrétiens
? Les prophètes ? l'évangile ? les
livres des apôtres ? Si de telles occupations conviennent
à des chrétiens, la loi de
Moïse, les prophètes, les Évangiles, les livres
des apôtres ne renferment plus que
d'erreurs et mensonges. Mais s'ils nous transmettent réellement
la parole de Dieu, si
leurs doctrines sont des inspirations d'en-haut, comme nous n'en devons
pas douter,
c'est un crime à des chrétiens de se livrer à
des oeuvres que les livres saints
condamnent. En effet, de l'Orient à l'Occident, d'une extrémité
du monde à l'autre,
dans les églises et partout, dans la loi, dans les prophètes,
les livres des apôtres, on
lit cette défense faite par le Seigneur de l'univers et tous
les pères théophores, et l'on
ne voit nulle part que ces divertissements profanes soient permis aux
chrétiens; mais
on y trouve écrit que quiconque erre dans la vraie voie et transgresse
les
commandements du Seigneur est un prévaricateur, un imposteur,
un homme qui n'a
point de Dieu, puisqu'il déshonore le Seigneur en prévariquant
à sa loi. Et ne vous
récriez pas à ce mot : "qui n'a pas de Dieu"; ce mot
n'est pas de moi, il est de saint
Jean, qui s'exprime en ces termes : "Quiconque ne demeure pas dans
la doctrine de
Dieu, mais s'en écarte, n'a pas de Dieu" (2 Jn 9). Or n'est-ce
pas le plus grand des
malheurs que de mépriser les enseignements et les ordres que
Dieu nous donne par
sa loi, par ses prophètes, par ses apôtres ? Et
un homme coupable de cette
abomination n'est-il pas sous le poids de l'anathème lancé
au nom du Seigneur par
son prophète ? "Malheur à ceux qui font blasphémer
mon Nom parmi les nations!" (Is
52,5 et Rm 2,24).
Je vous en conjure, mes frères, ne perdons pas des jours destinés
à la pénitence;
mais prêtons l'oreille aux cris et aux exhortations du roi-prophète.
"Venez,
réjouissons-nous dans le Seigneur", dit-il d'abord; mais aussitôt
il s'empresse
d'ajouter : "Prévenons le courroux du Seigneur en Lui confessant
nos fautes" (Ps
94,1-2). Ainsi prévenons le courroux du Seigneur avant la fin
de la solennité.
Prévenons le courroux du Seigneur avant qu'Il ne vienne ouvertement,
de peur qu'Il
ne nous trouve engourdis du sommeil de l'oisiveté; n'attendons
pas que retentisse ce
cri : "Voici l'Époux" (Mt 25,6). Alors ceux qui seront prêts
se réjouiront; ceux qui
auront été miséricordieux tressailliront d'allégresse.
Les pécheurs seront dans
l'abattement et la consternation; mais les justes ressentiront les
douceurs ineffables
d'une joie céleste. Encore une fois, mes frères, prévenons
le courroux du Seigneur
lorsqu'il en est temps; accourons avant que les trônes ne s'élèvent,
avant que ne
commence la séparation des boucs et des brebis. "Prévenons
le courroux du
Seigneur, et faisons retentir le chant des psaumes en son honneur."
Le chant des
psaumes, comme dit le psalmiste, et non des airs profanes; le chant
des psaumes et
non le chant des démons. "Venez, s'écrie-t-il, adorons
le Seigneur, prosternons-nous
devant Lui et pleurons" (Ps 94,6). Ne jouons pas des cymbales; ne pinçons
pas de la
harpe, mais pleurons, comme David, au chant des psaumes et des hymnes.
Le chant des psaumes met les démons en fuite; c'est une arme
dans les terreurs
nocturnes et un allégement à nos travaux journaliers.
Le chant des psaumes est la
sauve-garde de l'enfance, une consolation pour la vieillesse, une parure
décente pour
les femmes. Le chant des psaumes embellit une fête; il remplit
aussi l'âme d'une
tristesse agréable au Seigneur, car il n'y a pas de pécheur
si endurci auquel il
n'arrache des larmes. Le chant des psaumes est la plus douce occupation
des anges
et des bienheureux; c'est une espèce de parfum spirituel. Le
chant des psaumes
éclaire le coeur, l'introduit, pour ainsi dire, au ciel; il
fait admettre les hommes dans
l'entretien et dans l'intimité de Dieu; il réjouit l'âme,
il bannit les conversations
inutiles et les rires immodérés, nous avertit de l'heure
du jugement, et il réconcilie
les pécheurs; Dieu et les anges assistent au milieu de ceux
qui chantent les psaumes
dans la componction de leurs coeurs, au lieu que les chants impies
soulèvent la colère
de Dieu, et que sa malédiction devient la récompense
des joies mondaines. Où l'on
entend la lecture des livres saints, là les justes sont pleins
de joie, les enfants de Dieu
pleins de célestes espérances, et le démon plein
de rage et de confusion. Où l'on
entend le bruit des harpes, le chant des choeurs profanes, des applaudissements
bruyants, là les hommes croupissent dans les ténèbres
de l'ignorance, les femmes ont
perdu la pudeur, et les anges sont remplis de douleur, car le démon
préside à ces
fêtes.
Ô perfides machinations de l'ennemi du salut! Par quelle ruse
trompe-t-il et abuse-t-il
les chrétiens au point de leur faire abandonner les bonnes oeuvres
pour les
mauvaises ? Aujourd'hui dociles au préceptes divins, ils
font retentir à nos oreilles le
chant des psaumes; demain, plus dociles encore aux insinuations de
Satan, ils
laisseront éclater un fol enthousiasme à des concerts
impies, et se livreront avec
fureur à des danses criminelles. Aujourd'hui il renoncent à
Satan; demain ils
embrasseront derechef son parti. Aujourd'hui ils font alliance avec
Jésus Christ,
demain ils Le renieront et déshonoreront son Nom. Aujourd'hui
chrétiens et demain
païens; aujourd'hui pieux et demain sans religion; aujourd'hui
fidèles serviteurs de
Jésus Christ, et demain apostats et ennemis de Dieu. Sortez
de votre erreur, mes
frères, sortez de votre erreur. Nul ne peut servir deux maîtres,
comme dit Jésus
Christ; "parce que nul ne peut servir Dieu et l'argent" (Mt 6,24),
et courir aux fêtes
licencieuses du démon. Nous sommes faits à l'image de
Dieu; n'avilissons pas cette
image sacrée. Nous sommes les soldats du Christ; nous devons
Le suivre et Le servir
uniquement. Qu'on ne vous voie pas aujourd'hui vous mêler au
choeur des anges, et
demain bondir aux bacchanales de l'esprit infernal. Aujourd'hui disciple
chéri de Jésus
Christ et occupé de saintes lectures, n'allez pas demain vous
passionner pour le son
des harpes, comme un prévaricateur et un ennemi du Christ. Après
avoir fait
aujourd'hui pénitence de vos fautes, n'allez pas demain chercher
votre perdition au
milieu de danses criminelles. Après avoir jeûné
aujourd'hui et donné l'exemple de la
tempérance, prenez garde demain de chanceler, agités
par les fumées du vin, et de
devenir un objet de scandale et de dérision. Je vous en conjure,
mes frères, ne
perdons pas un temps que Dieu ne nous a donné que pour la pénitence
et pour le
salut. Rappelons-nous ces menaces du Seigneur : "Malheur à
vous qui riez, parce
qu'un jour vous pleurerez" (Lc 6,15). Et cette autre parole : Bienheureux
les affligés"
(Mt 5,5). Ne vous laissez séduire par personne, mes frères,
vous les disciples chéris
du Christ. La doctrine du monde n'est pas celle des apôtres qui
nous disent : "Si
quelqu'un vous enseigne autre chose que ce que nous vous avons enseigné,
qu'il soit
anathème" (Ga 1,9). Ainsi les divertissements du monde ne conviennent
nullement
aux chrétiens; ils ne conviennent qu'aux infidèles qui
n'obéissent point à l'Évangile; et
comme dit le Seigneur : "Toutes ces oeuvres sont les oeuvres des nations"
(Lc 12,30)
qui n'ont aucune espérance du salut.
Vous savez, mes frères, que, tous, tant que nous sommes, qui
avons été baptisés,
nous avons été revêtus de Jésus Christ.
Pourquoi donc voulez-vous vous dépouiller de
Jésus Christ, pour servir l'Antichrist (Ga 3) ?
Nous avons reçu de l'Apôtre le précepte
de prier sans cesse et de tout faire pour la gloire de Dieu (Ep 6 et
1 Co 10) : pourquoi
vous montrer indociles à ces préceptes ? pourquoi
fermer vos oreilles et vos yeux ?
Les nouveautés vous seront amères comme de l'absinthe,
et douloureuses comme
une épée à deux tranchants. Je vous le répète,
enfants chéris du Christ, les plaisirs
sensuels ne conviennent nullement aux chrétiens, ils ne conviennent
qu'aux nations
qui n'ont pas de Dieu. N'oublions pas que l'homme est misère
et vanité, que ses jours
passent en un instant (Ps 143,4), comme la fleur des champs, et que
toutes choses
retomberont dans le néant. Ô homme, pourquoi t'agiter
ainsi ? un accès de fièvre
viendra mettre un terme à toutes tes danses et à tes
folâtres divertissements; une
heure suffira pour te séparer à jamais des compagnons
de tes plaisirs; une nuit
s'écoulera et ta chair se flétrira, tes pieds, si légers
à courir au mal, te refuseront leur
service, tes mains tomberont sans force, tes yeux s'éteindront,
ta langue s'arrêtera
tout-à- coup, et ne bégaiera plus que des sons inarticulés.
Alors tu te répandras en
gémissements et en larmes inutiles; toutes tes pensées
périront, tu n'auras de
secours à attendre d'aucune créature, et, de même
que tu auras méprisé et
déshonoré Dieu, de même les autres se retireront
de toi et te laisseront pour uniques
compagnons les démons invisibles dont tu t'es fait l'esclave.
Chargé de l'exécution
des vengeances du Seigneur, l'ange des ténèbres, à
la face hideuse et sombre,
debout au loin et comme en sentinelle, n'attendra que le signal du
souverain Juge
pour se saisir de ton âme et pour la précipiter dans ces
abîmes profonds où l'impie
moissonne ce qu'il a semé; demeure affreuse où la colère
divine a réuni et amoncelé
les pleurs, les tribulations, les angoisses, le grincements de dents
et les malédictions.
Malheureux, pourquoi te donner tant de mouvements! Là les yeux
de ces heureux
convives ne brilleront plus de joie; là le visage de ces légers
danseurs sera couvert
d'une effrayante pâleur; là les douleurs aiguës et
la faim dévorante tourmenteront
ceux qui boivent maintenant le vin au son de la harpe et des flûtes;
là pleureront, en
proie à d'atroces douleurs, là grinceront des dents,
là se frapperont le visage les
fornicateurs, les adultères, les voleurs, les homicides, les
devins, les sorciers, les
enchanteurs, et ceux qui corrompent l'enfance, et ceux qui se livrent
à d'horribles
voluptés, et les ravisseurs des biens d'autrui, et tous les
hommes de sang : tous ces
pécheurs et tous ceux qui leur ressemblent, tous ceux qui mourront
dans
l'impénitence finale, tous ceux qui marchent dans la voie large
et spacieuse de la
perdition, seront éternellement renfermés dans ces épouvantables
demeures. On ne
peut partager ici-bas les fêtes des démons et participer
au paradis au bonheur des
anges; car le Seigneur a dit : "Malheur à vous qui riez maintenant,
un jour vous
pleurerez et vous gémirez" (Lc 6,25). Non, mes frères,
nous ne pouvons être tantôt
chrétiens, tantôt païens. Et jamais, je vous le répète,
les divertissements du siècle
n'ont été autorisés parmi les chrétiens.
Notre Seigneur n'est-Il pas venu en ce monde
pour tout changer, et, comme on l'a dit, pour tout détruire,
c'est-à-dire, pour détruire
la doctrine de Satan, qui a corrompu l'homme, qui lui a fait transgresser
les ordres de
son Dieu, qui l'a fait bannir du paradis terrestre, et qui a attiré
sur lui ce déluge de
maux dont le monde est inondé ? Le Seigneur n'est-Il pas
venu, comme nous l'avons
dit, pour tout changer et pour tout détruire, et par Lui-même
et par ses disciples,
auxquels Il a dit : "Allez, instruisez les nations, baptisez-les et
enseignez-leur à
observer toutes les choses que Je vous ai commandées" (Mt 28,19).
Or, si notre
Seigneur a dit à ses disciples : "Dites-leur de faire
pénitence, car le Royaume des
cieux est proche", Il ne leur a pas dit : "Livrez-vous à la
bonne chère et aux danses
profanes"; mais : "Faites pénitence, pleurez et veillez; priez
et soyez toujours prêts,
parce que le jour de l'arrivée du Seigneur approche, et que
le Royaume de Dieu est à
votre porte". Alors, soyons prêts, soyons justes, afin que le
Seigneur, quand Il
viendra, nous trouve purifiés par la pénitence, qu'Il
ne condamne aucun de nous,
mais qu'Il nous fasse les héritiers de son Royaume; parce qu'à
Lui appartient la gloire
dans les siècles des siècles. Amen.
3. De la vertu
Préface
J'ai cru nécessaire, mon bien-aimé, de joindre à
ce traité de la vertu quelques
instructions qui s'y rapportent, afin qu'en le lisant tu pries le Seigneur
pour moi,
pauvre pécheur que ses mauvaises oeuvres couvrent de confusion,
et que tu Le
supplies de me remettre mes péchés et de me faire porter
des fruits qui Lui soient
agréables, avant le redoutable arrêt de la séparation
de mon âme et de mon corps,
avant ce jour où s'évanouissent pour jamais les pompes
et l'éclat fastueux du monde.
Malheur alors à celui qui aura offensé le Seigneur notre
Dieu, et qui n'aura pas fait
pénitence; c'est en vain qu'il voudra retrouver le temps perdu
et réparer ses
négligences. Pleurons donc en présence de notre Dieu
pour obtenir ses miséricordes,
et puisqu'il en est encore temps, travaillons à notre salut,
efforçons-nous d'apaiser la
colère du Seigneur. Ce que nous risquons, ce n'est pas de l'argent,
dont la perte peut
être facilement réparée; c'est notre âme
qui est en danger : si nous la perdons, c'est
pour toujours, suivant cette parole de l'Écriture : "Que servira
à un homme de gagner
tout le monde et de perdre son âme ? que donnera-t-il en
échange de son âme ? Le
Fils de l'homme viendra dans sa Gloire, et alors Il rendra à
chacun selon ses oeuvres"
(Mt 16,26-27). S'Il rend donc à chacun selon ses oeuvres, et
si aucune d'elles ne peut
être cachée à Dieu, pourquoi ne faisons-nous pas
le bien dans l'espérance de recevoir
le bien en échange ? Pourquoi ne nous abstenons-nous pas
du mal, pour ne pas
devenir la proie du démon, ainsi qu'il a été écrit
: "Éloigne-toi du mal et tu ne
craindras pas, et la frayeur n'approchera point de toi" (Is 54,14).
J'ai honte de le dire,
et je ne puis pas me taire, tant a été grande ma négligence
et celle des hommes qui
me ressemblent! Les soldats, pour un misérable salaire qu'ils
reçoivent du prince,
n'hésitent point à s'exposer pour lui à toutes
sortes de périls, et courent avec joie
au-devant de la mort. Avec combien plus d'empressement, nous à
qui de riches
promesses ont été faites, ne devons-nous pas, par des
oeuvres de justice multipliées,
prévenir les terribles effets du jugement éternel! Ne
traitons pas en ennemie notre
âme qui appartient à Dieu. Considérons la peine
avec laquelle nous supportons
l'ardeur du soleil et la violence de la fièvre, et demandons-nous
pourquoi nous
semblons ne pas redouter ce feu qui ne s'éteindra jamais
? Que Dieu dispose donc de
nous suivant sa Volonté, et que la force de son Bras nous protège
dans les siècles des
siècles.
Heureuse la ville gouvernée par des gens de bien; heureux le
navire conduit par
d'habiles pilotes; heureux aussi le monastère régi par
des supérieurs sobres et
continents. Mais malheur à la ville gouvernée par des
méchants; malheur au vaisseau
dirigé par des mains inexpérimentées; malheur
au monastère tombé aux mains
d'hommes intempérants (Qo 10, 16-17)! La ville sera envahie
par les barbares, en
punition de la perversité de ses magistrats; le vaisseau se
brisera contre les écueils
par l'impéritie de ceux qui le gouvernent, et la corruption
des supérieurs ne fera du
monastère qu'un lieu de désolation et d'effroi.
Quand, placé sous l'autorité de tes pères spirituels,
tu es l'objet de leurs soins
vigilants et qu'un mot flatteur t'est adressé en récompense
de ta bonne conduite, ce
n'est pas alors que peuvent éclater la force et la fermeté
de ta foi; mais c'est lorsque
tu as à supporter le mépris et la correction :
l'animal le plus féroce s'apprivoise sous
la main qui le caresse. Étouffe tout ressentiment de haine contre
celui qui t'instruit et
te corrige, si tu veux devenir un vase d'élection. Sache ce
qu'il te faut d'obéissance et
d'humilité pour marcher dans la voie du Seigneur, et n'oublie
pas l'honneur qui t'en
reviendra si tu y es fidèle. Les saints, mon cher frère,
y ont trouvé toute la gloire de
leur vie. Moïse, serviteur de Dieu, qui avait puisé dans
les sciences de l'Égypte des
connaissances profondes, se soumit néanmoins à servir
Jéthro, étranger à toute
espèce d'étude (Ex 3,1); Josué, fils de Navé,
mérita par sa parfaite obéissance d'être
le successeur de Moïse (Deu 34,9 et Jos 1,16). L'obéissance
au grand prêtre Héli
rendit Samuel digne d'entendre la voix de Dieu (1 R 3,4-14). C'est
encore par l'effet
de cette grande vertu qu'Élisée reçut le manteau
de son maître et les grâces qui y
étaient attachées (4 R 2,13). Mais pourquoi parler d'hommes
semblables à nous et
sujets aux mêmes misères ? Le Verbe Lui-même
qui S'est incarné a vécu dans
l'obéissance et dans l'humilité, comme nous l'apprend
l'évangéliste par ces paroles :
"Et Il leur était soumis" (Lc 2,51). L'Apôtre dit encore
: "Et Il S'est rabaissé
Lui-même, Il a été obéissant jusqu'à
la mort, et jusqu'à la mort de la croix" (Ph 2,8).
Combien ne voyons-nous pas d'enfants qui s'exposent à de graves
dangers, parce
qu'ils ne veulent pas se conformer à la règle de vie
que leur tracent leurs parents ?
Dans les villes, la plupart des peines qu'infligent les magistrats
n'ont d'autre source
que la désobéissance, l'obstination et la raideur de
caractère. Les jeunes filles qui se
refusent à régler leur conduite sur les bons avis qu'on
leur donne, foulant aux pieds
tout sentiment de honte et de pudeur, usent une vie infâme dans
la débauche sur les
places et les rues. Celles, au contraire, qui sont attentives au travail,
gardent le
silence et observent les lois de la pudeur, sont honorées des
hommes, et un jour elles
seront couronnées par les Mains du Seigneur. Ton oeuvre est
bien commencée, sois
persévérant, afin d'être honoré dans le
royaume des cieux avec ceux qui sont doux et
humbles de coeur.
Si ton frère tombe malade au milieu de son travail, qu'il ait
besoin de ton secours,
remplis sa tâche avec amour, patience et humilité; mais
lorsqu'il aura recouvré la
santé, ne lui prends rien de son travail, tu attirerais sur
toi la condamnation de Dieu
et des hommes. Peut-être as-tu eu cette pensée :
c'est la divine Providence qui a
permis que mon frère tombât malade, pour que pendant ce
temps je puisse profiter
de son ouvrage. Mais pourquoi n'as-tu pas eu plutôt cette bonne
pensée : cela s'est
fait ainsi avec la permission de Dieu qui a voulu faire éclater
ta bonne volonté, et
montrer si c'est toi ou ton frère que tu aimes ? Si ton
frère, après sa guérison refuse
lui-même le salaire de son travail, reçois-le avec confiance,
mais d'après l'avis de ton
supérieur, afin que les étrangers rendent de toi bon
témoignage (1 Tm 3,7); la piété
ne suffit pas sans la justice. Il est écrit de saint Siméon
qui prit le Seigneur entre ses
bras, "qu'il était juste et pieux" (Lc 2,25 et 28).
Mon bien-aimé, que ton coeur soit ferme et constant : la
tiédeur est ennemie de la
vertu. Lorsque nous sentons s'éteindre le feu qui nous animait,
ne nous laissons point
aller à l'abattement ni à la pusillanimité, mais
reprenons courage à l'exemple de ce
voyageur intrépide qui, sentant ses forces s'affaiblir et lui
manquer dans le chemin,
ne laisse point abattre son esprit, ne se détourne point de
son but à cause de la
longueur de son voyage, mais se console lui-même en disant :
"Il n'y a plus qu'un peu
de chemin pour arriver à l'hôtellerie et tu t'y reposeras."
Et le Seigneur, voyant son
courage, lui donne de nouvelles forces, lui aplanit le chemin et le
lui rend plus doux. A
la suite de la nonchalance et de la paresse marchent l'indigence des
dons spirituels et
la privation des choses nécessaires à la vie matérielle.
Si tu entres avant les autres dans l'enceinte où l'on célèbre
les mystères divins, et
que tu y demeures jusqu'à ce que tout soit consommé,
que ton esprit ne
s'enorgueillisse pas : pense que les ouvriers emploient beaucoup
de soins et
d'attention à leur ouvrage. Ne te mets pas seulement de corps
en présence du
Seigneur, recueille aussi tes pensées et humilie-toi devant
Lui. L'orgueil est-il autre
chose que la caverne où le dragon se tient caché pour
tuer ceux qui s'en approchent
? Parler de l'ivresse ou des plaisirs charnels me semble superflu avec
un homme que
la piété éclaire, parce qu'il est évident
pour tout le monde qu'il y a en cela antipathie
formelle avec la vertu. Il faut, en ce point, se tenir sur ses gardes
et se préserver des
attaques du démon; mais ce qu'il faut éviter aussi, ce
sont les conversations
licencieuses avec les hommes, car elles corrompent l'âme et l'entraînent
à sa perte.
Ce n'est pas parce que la femme est un mal en elle-même qu'il
faut fuir sa
conversation; mais parce qu'il est facile à l'ennemi de se faire
contre nous des armes
de l'entretien et des discours des femmes et de nous faire transgresser
la loi divine.
Aussi devons-nous considérer tous les côtés par
lesquels les traits du démon peuvent
arriver jusqu'à nous, et mettre notre confiance dans la solidité
de l'armure que nous
avons reçue du saint Esprit. Celui qui ferme une porte à
l'ennemi et lui en ouvre
deux, croyant s'être mis ainsi en sûreté, se trompe
certainement. Il faut donc nous
fortifier de toutes parts et ne fournir aucun moyen d'attaque à
ceux qui les
recherchent. "On ne se moque pas de Dieu" (Ga 6,7), et "c'est une chose
terrible que
de tomber entre les Mains du Dieu vivant" (He 10,31). A Lui soient
la gloire et la
puissance dans les siècles des siècles. Amen.
Un religieux qui était sous l'autorité des pères
spirituels alla trouver un de ses frères,
et lui dit : "Je désire quitter mes pères spirituels
et vivre tranquillement par
moi-même. Le frère lui répondit en ces termes :
"Un homme avait un fils qu'il confia
aux soins d'un artisan chargé de lui apprendre sa profession.
Mais le jeune homme
était distrait et peu attentif à son travail. Quelques
jours après, il alla trouver son
père et lui dit : "Mon père, fais-moi sortir de chez
mon maître, j'apprendrai bien
mieux ce métier par moi-même." "Si tu n'as rien fait,
lui répondit son père, quand
d'autres t'instruisaient et te guidaient, que pourras-tu faire par
toi-même, mon fils ?
toi qui n'as su ni apprendre ni obéir comme tu le devais
? Je vois, mon fils, que tu as
du dégoût pour la profession à laquelle je t'ai
destiné, et je crains fort que je ne me
sois donné pour toi une peine inutile. Applique-toi donc comme
il convient à ton
travail, afin que, devenu habile dans cette profession, tu trouves
le calme et le
repos : la mort, voilà le partage de ceux qui, dans leur ignorance,
refusent de se
soumettre au joug de la discipline." Et nous aussi, mon frère,
gardons-nous de briser
le frein de l'obéissance en Jésus Christ, dans la crainte
de déplaire à Dieu et de
n'avoir personne qui vienne nous secourir, quand nous tomberons dans
quelque
tentation. Lorsque Agar, servante de Sara, fuyait les regards de sa
maîtresse, l'ange
de Dieu vint à elle et lui dit : "Retourne vers ta maîtresse,
et humilie-toi sous sa
main" (Gn 16,9). Elle fit ce qui lui avait été ordonné;
mais lorsque son temps fut
venu, Abraham lui donna des vivres et la renvoya paisiblement avec
son fils : et
comme elle errait dans le désert, et qu'elle et son fils Ismaël
étaient sur le point de
mourir de soif, Dieu ne les abandonna pas (Gn 21,17 et ss.). Nous devons
donc
souffrir avec courage les afflictions, en nous souvenant que c'est
le Seigneur que nous
servons et non les hommes. Aussi, puisque nous sommes sous la puissance
des
autres, nous devons nous garder de rien faire par esprit de révolte,
dans la crainte
d'avoir à souffrir comme Giési, serviteur du prophète
Élisée (4 R 5,27). Travaillons
plutôt, par une pieuse et religieuse obéissance, à
offrir des fruits parfaits à notre
Seigneur Jésus Christ, à qui soient la gloire et le règne
dans tous les siècles. Amen.
Si quelqu'un vient te trouver en secret et te dire : "Unissons-nous
ensemble; et
lions-nous d'une si étroite amitié que, quand je te dirai
quelque chose, tu m'écoutes
sans me contredire." Puis si, après avoir reçu ton serment,
il veut te détourner de la
bonne voie et te porter au péché, ne respecte point ses
conseils, bien qu'il ait recours
à de magnifiques paroles et qu'il se prosterne à tes
pieds jusqu'à terre, dans
l'intention coupable de te faire transgresser les préceptes
du Seigneur. "Ne fais point
d'acception de personnes, lorsqu'il s'agit de ton âme" (Si 4,27).
Ce n'est pas
seulement ainsi que le démon travaille à la corruption;
il sait aussi employer à son
gré des citations de l'Écriture, alléguer la faiblesse
de la chair et imaginer mille
artifices pour rendre l'homme prévaricateur et se glorifier
de sa défaite. Mais nous qui
connaissons son activité et les vains efforts dans lesquels
il s'épuise, nous devons être
fermes dans notre piété et inébranlables dans
les résolutions que nous avons prises.
Ceux qui veulent faire leur propre volonté, ou plutôt
celle du démon qui agit en eux,
se donnent tant de peines et de soins pour atteindre au but qu'ils
se sont proposé!
Quelle adresse et quelle vigilance doivent donc déployer ceux
qui font profession de la
vie spirituelle, de peur que l'ange des ténèbres ne parvienne
enfin à les vaincre! Mais,
suivant les préceptes du Seigneur notre Dieu, il ne fallait
pas se lier par un serment
(Mt 5,34); car te voilà pris par tes propres paroles. Ne dis
pas que c'est peu de chose;
la complaisance que tu as eue pour ton ami t'a fait tomber entre les
mains des malins
esprits. "Ne laisse point aller tes yeux au sommeil, et que tes paupières
ne se
ferment point; sauve-toi comme un daim qui échappe au piège
et comme l'oiseau qui
se tire du filet" (Pr 6,4-5). Que le découragement et la confusion
ne s'emparent pas
de ton esprit. Tu peux changer de vie, si d'ailleurs tu as toujours
le Seigneur devant
les yeux. Veille sur toi-même; ton serment est nul et tu peux
encore renoncer a mal.
Celui qui, par amour pour les hommes, a prêché l'évangile
dans le monde, le
Seigneur enfin, a ordonné aux hommes de faire pénitence
et de s'abstenir de tout
péché (Mt 3,2). Il faut donc prendre garde que, dans
le désir de satisfaire nos
passions, le serment ne soit qu'un vain prétexte de ne point
nous dégager du réseau
empesté de notre ennemi (1 Th 5). "On ne se moque pas de Dieu"
(Ga 6,7). Il tend la
main à ceux qui veulent être sauvés. "Évite
le mal et fais le bien" (Ps 33,15). C'est
ainsi que tu garderas ta parole selon le psalmiste :"Je retire
mes pas de toute
mauvaise voie, afin d'accomplir tes Ordonnances" (Ps 118,101).
Veux-tu que je te prouve d'une manière complète et invincible
que tu n'es pas lié par
ta parole ? Fuis le mal, fais le bien et sépare-toi de
toute personne qui marche dans
la voie du désordre (2 Th 3,6). Écoute cette parabole
ou plutôt cet exemple : Un père
avait un fils qui l'entourait de ses respects, qui, toujours docile
à ses ordres, se
plaisait à lui obéir en toute choses. Quelqu'un, jaloux
de la sagesse et de la perfection
de ce jeune homme, vint lui dire en secret : "Jure-moi que tu
feras à l'égard de ton
père tout ce que je te dirai, et que tu ne m'opposeras jamais
la moindre résistance."
Le fils eut l'imprudence de le lui jurer; et aussitôt après
il lui dit : "Va outrager ton
père, frappe-le, ne respecte plus sa présence, et fais
tout ce qu'il t'aura défendu de
faire; j'ai reçu ta promesse, et tu ne peux te refuser à
m'obéir. "Ce fils serait-il assez
insensé, ou plutôt assez impie, pour ne pas mépriser
cet abominable conseil ? Et le
respect et la vénération qu'il a pour son père
ne seront-ils pas plus puissants ?
Certes, il lui répondra : "Je vois que tu es un homme qui foules
aux pieds la vérité et
la justice, qui es l'ennemi de mon père et qui ne cherches qu'à
perdre mon âme. Mais
tu ne me tromperas pas comme le serpent séduisit Eve (Gn 3).
Ta fourberie et ta
méchanceté ne me feront pas commettre une impiété
aussi grande. Je ne veux pas
que mon père puisse m'accuser ou me reprocher d'avoir obéi
à un homme aussi
pervers. Je méprise ton conseil par respect pour mon père
et pour le salut de mon
âme. Que le signe de la croix ferme mes oreilles à tes
paroles empoisonnées, qui ne
pourront y entrer désormais; je fuirai tout rapport avec toi,
parce que tu es plein de
ruse et de dissimulation."
L'Apôtre nous avertit aussi de nous séparer de tous ceux
d'entre nos frères qui
mènent une vie déréglée (2 Th 3,6). On
n'honore point Dieu par de mauvaises
actions. Mon bien-aimé, ne te laisse pas entraîner par
des hommes pervers, dans la
crainte d'offenser ton Père qui est dans les cieux; si tu fais
des choses contraires à ses
Commandements, tu n'auras pas d'excuse au jour du Jugement. Tu irrites
ton Dieu
en transgressant les préceptes du saint évangile. Veille
sur toi-même et profite du
sublime enseignement du prophète lorsqu'il dit : "J'ai juré
et j'ai résolu", non pas de
violer tes Préceptes et tes Commandements, mais "j'ai juré
et j'ai résolu de garder
tes Préceptes et d'accomplir tout ce qu'ordonnera ta Justice"
(Ps 118,106). Et il
ajoute : "Je hais l'iniquité et je l'ai en abomination, mais
je chéris ta Loi"(Ps 118,163).
Avec ces préceptes et la miséricorde de Dieu, tu éviteras
bien des tentations et bien
des dangers, et ce qui est écrit s'accomplir : "Le mal
qu'il méditait retournera contre
lui, et ses iniquités retomberont sur sa tête" (Ps 7,17).
Travaille donc à acquérir la
charité et la paix, non pas celle que peuvent donner les serments,
les flatteries et
tout ce qui est défendu, mais celle qui est selon Dieu et qui
émane directement de
l'amour que ton âme a pour Lui : alors il ne s'y glissera rien
d'injuste, rien de forcé,
et la grâce de notre Seigneur Jésus Christ sera avec toi.
A Lui la gloire et la puissance
dans les siècles. Amen.
Fuis la compagnie des hérétiques et des libertins; leurs
entretiens sont contraires à la
foi, et semblables à des flèches, ils font au coeur de
profondes blessures. Combien de
gens empoisonnent les âmes du venin de leurs discours; ce sont
peut-être ceux-là
que l'Écriture désigne par l'expression symbolique d'hommes
couverts de la lèpre (Lv
15,22) et dévorés de maladies honteuses. Ces derniers,
selon le témoignage de la loi,
rendent impurs tous les meubles sur lesquels ils se reposent et tout
ce que touche
leur salive. Ainsi les hérétiques et les débauchés,
par leurs discours empestés,
rendent abominables tous ceux qui reçoivent les émanations
de leur âme impure et
corrompue, et, comme je l'ai déjà dit, la dépravation
de leur esprit peut être
comparée à la lèpre. Une foule de saints se sont
serré les reins avec une ceinture qui
révélait toute l'austérité de leur vie.
Ils étaient couverts de l'armure du saint Esprit,
dont la vertu les défendait de toutes parts. Mais les hérétiques
sont privés, par leur
négligence personnelle, de ce don précieux. Leurs appétits
charnels ne sont pas
contenus par la barrière de chastes pensées : leurs moeurs
sont dissolues, leurs
actions et leurs paroles, tout en eux est corrompu. Les uns, dont la
foi est faible et
chancelante, disent : "Quel mal y a-t-il à se lier avec un homme
quelconque, qu'il
pense bien ou mal, pourvu que nous conservions l'intégrité
de notre foi ?" D'autres,
esclaves des plaisirs sensuels, se demandent : "Quel inconvénient
y a-t-il à manger,
à boire, à vivre dans les délices ?" La
concupiscence de la chair est un mal; c'est un
mal de désirer le bien d'autrui ou de le dérober. Cependant,
si on leur en fait un
reproche, ils répondent : "J'y ai été contraint
par la nécessité; si j'ai volé, c'était pour
satisfaire la faim qui me pressait." Est-il rien de plus impie que
ce langage ? Rien de
plus honteux et de plus ignominieux qu'une semblable lèpre
? Dieu ne veut pas que
tu laisses ces abominables pensées infecter les tentes de ton
âme. La loi ne permet
pas à ceux qu ont eu des relations avec des lépreux de
dresser leurs tentes au milieu
des enfants d'Israël. Celui qui ouvre dans son coeur un sanctuaire
aux saintes et
sublimes pensées ne peut pas, sans crime, y laisser pénétrer
l'impureté et le péché.
L'Écriture fait assez connaître la corruption et la dissolution
des moeurs de ces
hommes pervers, le but honteux qu'ils se proposaient, leur conduite
que rien ne
saurait excuser, lorsqu'elle dit : "Tout homme affecté de la
lèpre aura ses vêtements
déchirés, la tête nue, le visage couvert, et il
sera déclaré impur pendant tout le
temps de sa maladie; et, à cause de son impureté et de
ses souillures, il sera séparé
du peuple et demeurera hors du camp" (Lv 13). Certains d'entre eux
ne rougissent
pas de dire : "Mangeons et buvons; nous mourrons peut-être demain"
(Nb 12). Ce
sont là des discours de gens qui ont fait divorce avec la vérité;
c'est aussi le
sentiment des hérétiques.
Pour donner une base à leurs erreurs, les hérétiques
s'efforcent d'emprunter aux
divines Écritures des passages et des citations à l'aide
desquels ils pervertissent le
coeur de ceux qui ont la faiblesse de les écouter. Un de nos
saints leur adresse ces
admirables paroles, qui renferment une excellente leçon : "Les
raisons sur lesquelles
ils s'appuient ne peuvent avoir pour fondement ni les prédictions
des prophètes, ni les
enseignements du Seigneur, ni la tradition des apôtres. Mais,
pour qu'on ne dise pas
que le travail de leur imagination ne repose sur aucune autorité,
ils prétendent
connaître les saintes Écritures bien mieux que tous les
autres, et ils y voient ce qui ne
s'y trouve pas; ils bâtissent sur le sable, comme on dit, en
tâchant d'ajuster des
vérités dignes de foi, ou les paraboles du Seigneur,
ou des discours des prophètes et
des apôtres, aux principes erronés qu'ils mettent en avant;
ils passent sur toutes les
règles prescrites pour expliquer les saintes Écritures,
ils en corrompent le sens et
morcellent, autant qu'ils peuvent la vérité même.
Ils transposent les passages, les
retournent, les mêlent ensemble et les confondent; enfin, ils
dénaturent les paroles
du Seigneur pour les adapter à l'imperfection de leur doctrine;
ils ressemblent à un
fou qui, prenant la statue d'un roi faite par un artiste habile et
enrichie de pierres
précieuses, les retirerait une à une, lui ferait perdre
la forme humaine, pour ne
reproduire que l'image d'un chien ou d'un renard, et qui soutiendrait
ensuite et ferait
croire, en montrant les pierres précieuses dont l'éclat
séduirait peut-être les sots qui
n'ont aucune idée exacte de la vérité, que cette
statue ainsi défigurée est le véritable
chef-d'oeuvre de l'artisan habile qui voulut dignement représenter
le prince. Ainsi les
hérétiques, assemblant avec effort des contes et des
fables absurdes, s'emparent des
passages, des citations et des paroles éloquentes de Dieu pour
les adapter à leurs
folles rêveries" (st Irénée : 1 Contre les hérétiques,1).
Suffisamment instruits par ces
exemples, fuyons les hérétiques et leurs conversations
perverses. Gardons-nous
d'imiter ces hommes qui vivent dans le luxe et dans la débauche,
tout en invoquant
l'autorité de l'Écriture. Conservons-nous dans la pureté
de la foi et des bonnes
oeuvres, afin d'offrir des fruits excellents et parfaits à notre
Seigneur Jésus Christ, à
qui soit la gloire dans les siècles. Amen.
Considère l'habit dont tu es revêtu, humble moine; vois
combien il diffère de celui des
gens du monde, et examine avec soin les devoirs dont il est l'emblème
et le signe. Il
te montre et il t'apprend le mépris que tu dois faire des moeurs
et des choses du
siècle, en même temps qu'il vous rappelle que tes oeuvres
doivent toutes être
spirituelles. Ne néglige donc point la vertu, mais réunis
toutes tes forces pour
travailler à ta purification; c'est pour cela que tu as quitté
le monde. Applique-toi à
conquérir la chasteté et l'Esprit saint demeurera en
toi. Écoute cet avis dans le
Seigneur, ô mon bien-aimé, ne l'oublie jamais, et tu trouveras
le repos en toi-même;
loin de toi toute vaine complaisance, toute exécrable pensée
de concupiscence.
Garde-toi de l'appât des paroles trompeuses, ne porte point envie
à ceux qui vivent
dans l'iniquité et ne fais point attention aux fautes de ton
prochain. Conserve-toi dans
la pureté, et si l'ardeur du péché t'excite et
t'embrase, que tes larmes en éteignent
les flammes impures. Le Seigneur sauve ceux qui ont recours à
Lui; demande-Lui
donc ses grâces, car Il aime ceux qui Le servent saintement.
La pureté est un
précieux trésor, lorsqu'on y joint des pensées
droites; si tu l'aimes, le Seigneur te
glorifiera et tu prospéreras en toutes choses. Suis mes conseils,
repousse le démon
lorsqu'il veut étendre sur les yeux de ton esprit le voile de
mauvaises pensées. Il ne
viendra pas à ton secours, quand les mauvais anges t'entraîneront,
lui qui ne peut se
secourir lui-même; c'est pour lui et ses anges que l'enfer a
été préparé (Mt 25,41);
mais pour toi toutes les délices du paradis, si tu renonces
à ses oeuvres. Le démon
est dans la joie quand tu mènes une vie criminelle; il s'afflige,
au contraire, quand il
te voit avancer par de bonnes oeuvres dans la route de la vertu. Ne
te rebute pas
dans la carrière du bien que je t'ai tracée; la pratique
est aisée et facile, et si tu crois
fermement, bientôt tu en recueilleras des fruits; mais si tu
es indocile à ma voix, tu
t'en repentiras bientôt, et lorsque tu auras consumé tes
forces, tu diras : "Pourquoi
ai-je rejeté les saintes règles de la discipline
? Pourquoi mon coeur a-t-il été rebelle a
toutes les remontrances ? Pourquoi n'ai-je point écouté
la voix qui m'instruisait, ni
prêté l'oreille aux leçons de mon maître
? J'ai été presque plongé dans toutes sortes
de maux, au milieu de l'église et de l'assemblée" (Pr
5,12-14). Ne négligeons donc
pas notre salut, mon bien-aimé, et n'imitons point ceux qui
vivent sans crainte dans
l'ivresse de l'orgueil et de la volupté. Ceux qui haïssent
le Seigneur seront couverts
de honte et de confusion. Nos jours passent vite, notre fin approche
: pleurons
devant le Seigneur notre Dieu, avant que nous ne soyons enveloppés
dans les
ténèbres extérieures. Comment pourrons-nous nous
préparer à ce temps, en versant
d'abondantes larmes, si nous l'employons à opérer l'iniquité,
ou si nous ne faisons
aucun progrès dans la vertu ? "Voici maintenant le temps
favorable, voici maintenant
les jours de salut" (2 Co 6,2). Heureux ceux qui sont sobres et vigilants,
ils seront
couronnés de gloire au milieu des tressaillements de joie; heureux
ceux qui pleurent
maintenant, ils seront consolés avec les élus de Dieu
(Mt 5,5 et Lc 6,21); heureux
ceux qui souffrent dans le Seigneur, les délices du paradis
les attendent.
Puissions-nous en jouir par l'intercession de tous ceux qui se sont
rendus agréables à
notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit honneur et gloire
dans les siècles des siècles.
Amen.
Dévouons-nous, mon cher frère, à la vie spirituelle,
unissons les oeuvres à la foi, afin
que, par leur coopération mutuelle, l'homme en nous arrive à
la perfection. Nous ne
serons propres à étudier la science de Dieu que du moment
où nous aurons réprimé
nos passions, chassé loin de nous toute affection charnelle
et dégagé notre esprit de
toute sollicitude pour les choses du siècle. La grâce
du saint Esprit pouvant alors se
reposer en nous, nous aurons par elle le don d'intelligence, elle éclairera
nos coeurs
et les rendra si resplendissants qu'ils seront comme des lampes bien
garnies, d'où le
feu jaillit aussitôt qu'on l'en approche, et qui répandent
partout une éclatante
lumière. Mais si nous sommes encore tourmentés par nos
passions et dominés par
elles, si, tout couverts de leur fange immonde, nous recherchons les
honneurs et les
dignités, nous courons les plus grands dangers et nous sommes
semblables à une
lampe qui, faute d'huile, ne peut conserver la lumière ni même
la recevoir, quand on
veut la lui communiquer. Il faut donc, avant tout, nous préparer
à recevoir la lumière
de l'intelligence, afin de nous rendre dignes des dons spirituels et
de la grâce, et pour
que l'âme soumise à l'Esprit saint soit purifiée
par sa divine Puissance et que notre
corps le soit en même temps, demandons tous les jours au Seigneur
les larmes de la
componction, pleurons nos fautes et notre âme sortira de la corruption
du péché et
reprendra une vigueur nouvelle. Ne négligeons point notre âme;
c'est un champ qu'il
faut cultiver et engraisser, afin qu'amollie et réchauffée,
la terre rapporte de bons
fruits pour le Seigneur. Elle s'amollira sous la double influence de
l'Ancien et du
Nouveau Testament; le feu du saint Esprit la réchauffera et
la rendra féconde.
Abandonnons-leur le soin de notre âme, arrosons-la de nos larmes,
afin qu'étant ainsi
cultivée et arrosée, elle porte des fruits de justice,
et de peur que par notre
négligence, au jour de la séparation, nous ne disions
avec crainte et en tremblant
comme le roi des Amalécite : "La mort est-elle donc si amère
?" (1 R 15,32).
Ézéchias, qui n'avait pas négligé les oeuvres
de justice pendant qu'il était en santé,
trouva de la consolation auprès du Seigneur au milieu des souffrances
et à l'approche
de la mort. Le prophète lui ayant annoncé sa dernière
heure de la part du Très-Haut,
il tourna son visage vers la muraille et pria ainsi le Seigneur "Souviens-Toi,
Seigneur,
de quelle manière j'ai marché devant Toi dans la vérité
et dans la pureté du coeur, et
que j'ai fait ce qui T''était agréable" (4 R 20,3). Ézéchias
versa aussi une grande
abondance de larmes. Que lui répondit alors le Seigneur plein
de miséricorde ? Il lui
fit dire aussitôt par son prophète : "J'ai entendu
ta prière et J'ai vu tes larmes,
J'ajouterai encore quinze années au cours de ta vie, et Je te
délivrerai des mains du
roi des Assyriens" (4 R 5,6).
Tu le vois, il est bon de ne pas vivre dans l'indifférence de
ses devoirs, et d'avoir
toujours devant les yeux la crainte du Seigneur. Un violent orage gronde
sur nos
têtes. Eh bien, appliquons-nous à faire de bonnes oeuvres,
afin qu'au temps de la
persécution et du malheur, nous trouvions un appui et un soutien
dans le Seigneur. O
mon bien-aimé, que ces instructions ne sortent jamais de ta
mémoire, veille sur
toi-même et garde soigneusement ton âme, dans la crainte
de ne pas trouver la perle
que tu cherches. Chéris la piété et la tempérance,
et tu feras de grands progrès dans
la vertu. Mais si tu te relâches dans ta conduite, si tu t'abandonnes
à l'ivresse et aux
excès, tu périras avec ceux qui se nourrissent de mets
délicats et recherchés. Et
d'abord, tu éloigneras de toi la grâce de Dieu; puis ceux
qui verront la dissolution de
tes moeurs et ton intempérance te blâmeront et te condamneront.
Le travail de tes
mains ne pourra pas suffire à de si grandes dépenses;
enfin, de là naîtront la
dissipation, la curiosité, le mensonge, l'insolence, l'erreur
et la folie, les flatteries et
les complaisances pour les grands et pour les personnes élevées
en dignité, et tant
d'autres vices semblables. Que la piété et la tempérance
sont de grands biens!
L'avidité et l'excès des aliments corrompt les moeurs,
la tempérance édifie. Ces deux
manières de vivre sont opposées l'une à l'autre
et s'excluent mutuellement. Si tu
aimes sincèrement la piété et la tempérance,
ton esprit planera au-dessus de toutes
choses. La piété te fera aimer à vivre dans la
solitude et à ne pas rester longtemps
absent de ta cellule, et à éviter avec soin les conversations
inutiles. Ne te mets point
en peine d'avoir des habits somptueux : que cela ne t'occupe
même pas. N'use pas à
la fois un grand nombre de vêtements, tu n'en seras que plus
tranquille. Si tu vis avec
tempérance, satisfait du présent, tu n'auras pas à
t'inquiéter de dépenses fastueuses.
Tu satisferas à tous tes besoins avec trois, quatre ou cinq
petits pains cuits sous la
cendre, un peu de lentilles ou d'autres légumes ou herbages
: si tu vis ainsi, le
Seigneur te viendra en aide, Il fortifiera ton âme qu'Il nourrira
des plus riches
espérances. L'existence de ceux qui s'abandonnent à leurs
honteux désirs est pleine
d'inquiétude et de tourments; et ce qui est le pire de tous
les maux, c'est qu'ils
oublient Dieu Lui-même, jusqu'à n'en point garder le souvenir.
Les misérables
passions de l'âme se dissipent à la seule pensée
de Dieu, comme les malfaiteurs à
l'approche du magistrat; cette pensée suffit aussi pour nous
purifier et faire de nous
un temple où l'Esprit saint se plaît à habiter.
Mais dès que le souvenir de Dieu
s'efface, le règne des ténèbres et de la corruption
commence, et la carrière est
ouverte à toute espèce de mal. Au reste, je pense qu'il
y a différents degrés qui
conduisent à la vie charnelle ou à la vie spirituelle
et religieuse, embellie du cortège
de toutes les vertus.
Le démon, auteur du mal, ce malin esprit qui se réjouit
de notre perte, s'efforce
d'attirer notre âme hors de la bonne voie, pour qu'elle s'abaisse
jusqu'aux choses
charnelles : c'est ainsi qu'il entraîne peu à peu, qu'il
pousse et qu'il précipite ceux qui
ne veillent pas attentivement sur eux jusqu'à ce qu'il les ait
jetés dans les profonds
abîmes des enfers et qu'ils soient complètement exclus
et chassés du royaume des
cieux. Aussi l'Apôtre, comptant, pour ainsi dire, les degrés
qui conduisent à l'enfer,
s'exprime ainsi : "Il est aisé de connaître les oeuvres
de la chair, qui sont la
fornication, l'impureté, l'impudicité, l'idolâtrie,
les empoisonnements, les inimitiés,
les jalousies, les rivalités, les querelles, les dissensions,
les hérésies, l'envie, les
meurtres, l'ivrognerie, les débauches et autres crimes semblables"
(Ga 5,19-21). Et il
déclare très positivement quelle en sera la fin, en disant
: "Je vous déclare, encore
une fois, que ceux qui agissent ainsi ne posséderont pas le
royaume de Dieu" (Ibid.).
Il est donc nécessaire d'élever notre esprit et nos pensées
vers le ciel, et de ne point
les laisser courir vers tout ce qui est défendu.
Si l'ennemi nous renverse par terre, relevons-nous au plus tôt,
de peur qu'il ne nous
entraîne encore au mal, et que, nous enveloppant peu à
peu, de chute en chute il ne
nous porte au comble du désespoir et à notre perte éternelle.
Quelle que soit donc la
défense qu'il nous fasse transgresser, gardons-nous de persévérer
dans notre faute,
et ne désespérons point de nous-mêmes, puisque
la pénitence peut nous soustraire à
toutes ces horreurs, et nous conduire au sanctuaire de la piété.
Voyant notre
changement de vie et notre sincère pénitence, voyant
en même temps que c'est Lui
seul que nous désirons de tout notre coeur et que nous faisons
ce qui Lui plaît et Lui
est agréable, le Seigneur ne nous parlera plus comme à
des serviteurs, mais, nous
regardant comme ses véritables amis, Il nous exhortera aux vertus
les plus parfaites
et les plus sublimes, en nous disant : "Mon ami, monte plus haut!"
(Lc 14,10),
c'est-à-dire : élève-toi à cette
hauteur, où s'ouvrira pour toi la porte des cieux, et
dont les degrés sont la foi, l'espérance, la charité
et les autres fruits du saint Esprit.
Devenus citoyens de la Jérusalem céleste, nous aurons
notre coeur dans la joie que
nul ne saurait lui ravir (Jn 16,22). Puisse le Seigneur Dieu tout-puissant
nous conduire
Lui-même par sa Sagesse et nous protéger par la puissance
de son Bras. Malheur,
malheur à l'homme que Dieu n'assiste pas! Il n'y a pas d'autre
Dieu que le Dieu
vivant : Il est le Seigneur du ciel et de la terre, et Il a fait
tout ce qu'Il a voulu dans
le ciel et sur le terre, dans la mer et dans les abîmes (Ps 134,6),
et personne ne peut
résister à sa Volonté. C'est à Lui qu'appartiennent
la gloire, la puissance et la
grandeur dans les siècles des siècles. Amen.
SUR LA RÉSURRECTION ET LE JUGEMENT
1. Méditation sur la mort ou nécessité de ne jamais
perdre de
vue le jour qui doit être le dernier de notre vie.
Songez-vous, mes frères, aux terreurs qui vous assiégeront
au sortir de ce monde, à
l'heure de la séparation de l'âme et du corps ? Quelles
angoisses, quelle perplexité
pour une âme sur le point d'être initiée aux redoutables
mystères de l'autre vie! Tous
les anges du Seigneur, la foule des esprits célestes, toutes
les puissances infernales,
tous les princes des ténèbres se réunissent autour
du lit d'un mourant pour se
disputer son âme et pour en fixer les destinées éternelles.
Si c'est un chrétien riche
de vertus, dont la vie a été pure et qui a marché
constamment dans les sentiers de la
justice, il voit, à son heure dernière, ces mêmes
vertus auxquelles il a été fidèle se
changer en autant de bons anges qui le défendent contre les
attaques des puissances
infernales. Les esprits célestes ouvrent leurs rangs pour recevoir
l'âme de ce
chrétien, et, au milieu de leurs transports de joie et d'allégresse,
entonnant un
hymne de victoire en l'honneur du Très-Haut, ils vont la porter
au pied du trône de
Jésus Christ. C'est là que cette âme unit ses adorations
à celles que l'armée céleste
rend au Roi de gloire; c'est alors qu'elle entre en possession du royaume
des cieux;
lieu de repos et de joies ineffables, foyer de la lumière éternelle,
séjour où l'on ne
connaît ni la douleur, ni les gémissements, ni les larmes
ni les soucis; séjour de la vie
immortelle et de la joie éternelle, où règnent
tous ceux qui se sont appliqués à plaire
à Dieu. Mais si c'est un chrétien qui a mal vécu,
qui s'est livré à des passions
d'ignominie, qui s'est plongé dans les voluptés, qui
a borné son espoir aux vanités de
ce monde, maintenant que le voilà sur le seuil de l'éternité,
ces passions et ces
voluptés qu'il a tant affectionnées pendant sa vie, deviennent
des démons qui se
précipitent sur son âme et qui empêchent les saints
anges d'approcher. Ce lugubre
cortège des esprits infernaux et des puissances des ténèbres,
entraînant cette âme
malgré sa résistance et ses supplications, malgré
ses pleurs et ses cris, la précipite
dans ces lieux d'épaisses ténèbres, dans ces noirs
cachots où tous les pécheurs
attendent, en compagnie des démons et de ses suppôts,
le jour du jugement et des
supplices éternels. Il faut donc que dès maintenant la
fin de notre vie soit l'objet de
notre attention et de notre sollicitude; il faut que nous acquérions
ces vertus qui nous
accompagneront dans l'autre monde, et qui nous protégeront à
l'heure fatale.
Or quelles sont ces vertus, quels sont ces anges qui luttent pour nous
contre les
démons, c'est-à-dire contre nos passions ? Ce sont la
charité, la longanimité, la
continence, la patience, la discrétion, la soumission, le calme
et la force de l'âme, et
enfin la justice. Ces vertus, et toutes celles qui s'en rapprochent,
se rassemblent
autour de nous à l'heure de la mort, et nul ennemi n'est assez
ferme pour leur tenir
tête. Quant à ces passions qui se changent en démons,
ce sont la haine, la fierté, la
dureté du coeur, la tiédeur, les discours oiseux, l'aigreur,
l'animosité, la jalousie,
l'envie, l'orgueil, la vaine gloire, le ressentiment, la nonchalance,
la négligence,
l'ignorance, le désespoir, l'emportement, la colère,
la paresse, le mépris, la
méchanceté, la cupidité, la vanité, la
mollesse, la gourmandise, l'intempérance, et,
par-dessus tout, l'avarice et l'esprit de ruse, esprit vraiment satanique.
Ce seront là
autant de démons acharnés à notre perte à
l'heure de notre mort, sans que nous
ayons le droit de nous plaindre. Si nous nous enrôlons sous la
bannière de nos
ennemis, n'est-ce pas leur reconnaître sur nous un empire absolu
? Or nos passions
nous suivent après la mort; elles dominent en nous, et nul ne
peut leur échapper.
Élevons donc notre esprit et nos pensées, tandis qu'il
en est temps encore, vers les
célestes intelligences; invoquons les anges de tout notre coeur,
conjurons-les de nous
accorder leur assistance à l'heure où nous la réclamerons;
prions-les de nous délivrer
de nos ennemis, et ces ennemis, quelle que soit leur perversité,
quelque noirs
complots qu'ils trament contre nous, fuiront devant eux comme on fuit
devant un
reptile ou devant la flamme d'un incendie. Mais si malheureusement
ces ennemis sont
parvenus à nous éloigner des voies de la vertu, et qu'ils
aient élevé une barrière
entre Dieu et nous, efforçons-nous en temps propice, alors que
la vie nous est
laissée, efforçons-nous de déjouer leurs funestes
desseins. Recourons aux larmes de
la pénitence et à la pratique des vertus les plus saintes
pour désarmer la justice
divine et pour nous préparer à la mort. Il ne faut pas
que le Seigneur frappe à la
porte avant que nous soyons prêts à Le recevoir. L'heure
de la visite du Seigneur est
inconnue; lors donc qu'Il se présentera et qu'Il frappera à
la porte, soyons prêts à
marcher à sa rencontre, parce que la gloire Lui appartient avec
le Père et le saint
Esprit, à présent et toujours, dans tous les siècles
des siècles. Amen.
2. Sur le second avènement de notre Seigneur Jésus Christ.
Mes frères bien-aimés de Jésus Christ, prêtez-moi
une oreille attentive : je vais
parler du second et terrible avènement de notre Seigneur. En
pensant à ce
redoutable moment, je tremble; je suis glacé d'effroi, quand
je songe à tout ce qui
sera découvert et mis au grand jour. Qui pourrait peindre ce
désolant tableau ? quelle
langue peut décrire ces lugubres scènes ? quelle oreille
pourra en entendre le récit ?
Descendant du trône de sa Gloire, le Roi des rois viendra faire
la revue de tous les
habitants de la terre, leur demander un compte d'où sortira
pour les justes le digne
prix de leurs vertus, et le châtiment pour les malheureux qui
l'auront mérité; car s'Il
est juge, Il est juste aussi. A cette image qui obsède ma pensée,
je me sens accablé,
mes membres palpitent, mes yeux se remplissent de larmes, ma voix s'éteint,
mes
lèvres se serrent, ma langue frémit, et ma pensée
s'arrête silencieuse et sombre.
Excité par l'intérêt que vous m'inspirez, je veux
parler, et la crainte enchaîne mes
paroles; car jamais, depuis sa création, pareils prodiges n'ont
effrayé la terre, et
jamais rien de semblable ne viendra consterner le coeur des générations
successives.
Un coup de tonnerre qui vient tout à coup retentir à
nos oreilles porte la terreur au
fond des âmes; tous les fronts s'inclinent vers la terre. Que
deviendrons-nous, mon
Dieu! quand les accents de la trompette, mille fois plus éclatants
que ceux du
tonnerre, iront éveiller dans leurs tombeaux, les justes et
les pécheurs qui dorment
depuis les premiers jours du monde ? Alors, à ce bruit terrible,
les ossements
s'arrachant à la terre qui les enferme courront se rassembler
pour reformer des
corps. Quel spectacle! Tout le genre humain, renaissant à la
fois, viendra, des quatre
coins de la terre, comparaître aux pieds du souverain Juge! Le
Roi dont le pouvoir
s'étend sur toute chair n'aura qu'à dire un mot, et soudain
la terre ébranlée
s'empressera à rendre les morts qu'elle a reçus dans
ses entrailles; ceux que la mer
avait engloutis, que des animaux féroces dévorèrent,
ceux qui avaient péri victimes
des habitants des eaux ou des oiseaux de proie, reparaissent tous ressuscités,
sans
qu'ils aient à regretter la plus petite partie de leur corps!
Comment pourrons-nous voir sans trembler, mes chers frères, un
fleuve de feu,
s'élançant avec l'impétuosité d'une mer
en furie, embraser les montagnes et les
vallées, consumer le monde entier avec tous les travaux des
hommes ? Soudain les
fleuves se dessèchent, les fontaines se tarissent, les étoiles
s'effacent, le soleil
s'éteint, la lune a disparu, et le ciel a plié son pavillon
comme les feuillets d'un livre,
ainsi qu'il est écrit (Mt 24). Les anges courent rassembler
de tous les points d'où
soufflent les vents, comme dit le Seigneur, d'une extrémité
à l'autre de la terre, les
fidèles serviteurs de Dieu (II. Pi 3). Un nouveau ciel, une
nouvelle terre apparaissent
bientôt selon les promesses du souverain Maître (Ap 1;
Is 45;46). Tout-à-coup, un
trône majestueux s'élève, mes bien-aimés,
et l'étendard de la croix, où le Christ
expira volontairement pour nous, resplendit de lumière. A l'éclat
dont il remplit
l'horizon, tous les peuples ont reconnu le sceptre redoutable du grand
Roi, et ils se
rappellent que le Seigneur a prédit que le signe du Fils de
l'homme apparaîtra dans le
ciel (Mt 24), et personne ne doute plus alors que le moment est venu.
Comment oser
se présenter à Jésus-Christ ? Chacun, dans ce
fatal moment, sera poursuivi par le
souvenir de toutes es actions qui se dresseront devant lui, bonnes
ou mauvaises. Les
hommes au coeur miséricordieux, et qui ont sincèrement
pratiqué la pénitence, se
réjouiront en voyant s'accomplir les voeux qu'ils avaient formés.
Ceux qui ont
compati aux souffrances des pauvres, et les pauvres qu'ils n'ont pas
repoussés,
plaidant pour leurs nobles patrons, dont ils proclameront les vertus
devant les anges
et les hommes, tout en rappelant les larmes qu'ils ont versées
et leurs pénitences
laborieuses, seront tous dans la joie, et plein de l'ivresse du triomphe,
et attendant
avec confiance "la bienheureuse espérance et le glorieux avènement
du grand Dieu
sauveur, notre Seigneur Jésus Christ" (Tit 2,13).
Et pourquoi ne pas dérouler devant vous un tableau plus imposant
encore ? A cette
grande voix, à ce cri terrible parti des sommités du
ciel: "Voici l'Époux qui arrive" (Mt
25,6), voici que le Juge approche, que le Roi paraît, voici le
Juge des juges qui se
révèle à tous les yeux, voici le Dieu de l'univers
qui vient juger les vivants et les
morts; ô vous les bien-aimés du Christ, un frémissement
général agite la terre sur
ses bases; tout tremble, la mer et ses profonds abîmes. Les angoisses,
la crainte, la
stupeur sont dans tous les coeurs; tout est consterné dans l'attente
des malheurs qui
vont fondre sur la terre: "Les puissances des cieux seront ébranlées"
(Mt 24,25),
comme il est écrit. Soudain les anges et les choeurs des archanges
développent à la
fois leurs célestes bataillons; les chérubins et les
séraphins, les puissances et les
vertus chantent l'hymne de gloire "Saint, saint, saint est le Seigneur
des armées, qui
est, qui était et qui doit venir, le Tout-puissant!" (Ap 4,8).
Toute créature du ciel et de
la terre répond d'une voix tremblante et respectueuse: "Béni
soit Celui qui vient au
nom du Seigneur" (Mt 21,9). A ce moment le ciel s'entrouvre et laisse
voir le Roi des
rois, notre Dieu sans tache et plein de gloire, semblable à
la foudre, revêtu de force
et d'une incomparable majesté. Ainsi Jean le Théologien
l'avait annoncé: "Le voici qui
vient sur les nuées. Tout oeil Le verra et ceux même qui
L'ont méprisé; et tous les
peuples de la terre se frapperont la poitrine en Le voyant" (Ap 1,7).
Quel homme
assez audacieux pourra soutenir ce spectacle devant lequel fuiront
le ciel et la terre,
comme le dit le même apôtre: "J'ai vu un grand trône
blanc, et quelqu'un qui était
assis dessus, devant la face duquel la terre et le ciel s'enfuyaient,
et il n'en resta pas
même la place ?" (Ap 20,11) Jamais pareil effroi a-t-il brisé
un coeur d'homme ?
Jamais vos yeux ont-ils rien vu de plus redoutable ? Quand le ciel
et la terre fuient,
qui donc pourra se tenir debout ? Pécheurs, hélas! où
fuirons-nous, quand devant
nous se dressera le trône où s'assied le Dieu des siècles;
quand nous verrons se
déployer autour de ce trône majestueux les armées
innombrables du ciel ?
Alors s'accomplira la prophétie de Daniel: "J'étais attentif
à ce que je voyais, jusqu'à
ce que les trônes furent placés, et que l'Ancien des jours
s'assit. Son vêtement était
blanc comme la neige, et les cheveux de sa Tête étaient
comme la laine la plus pure;
son trône était de flammes ardentes, et les roues de ce
trône un feu brillant. Un
fleuve de feu sortait de devant sa Face; un million d'anges assistaient
devant Lui, et
mille millions Le servaient. Le Juge s'assit, et le livres furent ouverts"
(Dan 7,9-10).
De quel effroi, mes frères, ne serons-nous pas saisis, quand,
sans acception de
personnes, Il prononcera ses arrêts, et que seront ouverts ces
livres redoutables où
sont inscrits nos oeuvres, nos discours dans cette vie, et que nous
avons espéré
cacher à Dieu qui, selon l'Écriture, sonde les reins
et les coeurs: "Car tous les cheveux
de votre tête ont été comptés" (Luc 12,7);
c'est-à-dire les pensées et les paroles dont
il nous faudra rendre compte. Que de larmes à répandre
dans ces cruels instants, et
nous n'y pensons même pas! Que de soupirs s'exhaleront avec effort
de nos poitrines,
à l'aspect des riches présents dont le Roi de gloire
comblera ceux qui ont vaillamment
combattu! A l'aspect de ce royaume ineffable des cieux, à l'aspect
des plus horribles
tourments, et de toutes ces générations d'hommes depuis
Adam, notre premier père,
jusqu'au dernier-né, placées devant la Face de Dieu,
comme il est écrit: "Je vis, Moi,
dit le Seigneur, et tout genou se courbera devant Moi" (Is 49,18 et
45,24; Rom 14,
11; Ph 11,10).
C'est alors, ô vous les bien-aimés du Christ, que l'homme,
se tenant debout entre le
royaume et le tribunal, entre la vie et la mort, entre la liberté
et l'esclavage,
attendra que l'heure terrible du jugement ait sonné pour lui,
l'heure où personne,
hélas! ne pourra venir au secours de son prochain. Alors chacun
confessera quelle a
été sa foi, à chacun sera demandé le signe
du baptême, une conscience que les
hérésies n'auront pas souillée, s'il a été
fidèle, s'il n'a pas flétri la pureté de sa robe,
ainsi qu'il est écrit: "Car tous environnant l'autel offriront
des présents à ce Roi
terrible" (Ps 75,12). En effet, tous ceux dont les noms sont inscrits
sur les livres de la
sainte Église, au nombre des citoyens, auront à rendre
compte, chacun selon son
mérite: "Les puissants seront examinés rigoureusement"
(Sg 6,7), comme il est écrit;
"il sera beaucoup demandé à qui il a beaucoup été
donné; et l'on appliquera à chacun
la mesure dont il se sera servi pour les autres" (Luc 12,48; Mt 7,2;
Mc 4,24). N'est-il
pas vrai que, grands ou petits, nous avons professé la même
foi, nous avons été
marqués du même signe; nous avons tous renoncé
au démon, nous l'avons rejeté loin
de nous; nous nous sommes tous unis à Jésus Christ, et
nous L'avons adoré ? Oui,
vous avez été initié au mystère de la piscine,
vous avez renoncé à l'ennemi du salut,
et la renonciation qu'on exige de vous dans le saint baptême
ne semble pas d'abord
fort grave, mais quand l'esprit en pénètre bien le sens,
il en conçoit toute
l'importance, et mille fois heureux celui qui sait en accomplir le
devoir! Quelques
mots, en effet, suffisent pour déclarer que nous y renonçons
à tout ce qui est mal, à
tout ce que Dieu abhorre; il ne s'agit pas d'un, de deux ou de mille,
c'est du mal en
général; il n'y a pas de distinction, c'est tout ce que
Dieu hait. Ainsi: "Je renonce à
Satan et à ses oeuvres". Quelles sont ces oeuvres ? Écoutez
: La débauche, l'adultère,
l'impureté, le mensonge, le vol, l'envie, les maléfices,
la divination, les sortilèges,
l'emportement, la colère, les blasphèmes, les inimitiés,
les querelles, les rivalités
jalouses. Je renonce encore à l'ivresse, aux vains discours,
à l'orgueil, à la paresse;
je renonce aux frivoles amusements, aux danses animées par les
sons de la harpe,
aux chants impies, aux outrages à la pudeur, aux augures, à
l'esprit d'interrogation,
aux chairs étouffées et au sang (Ac 15,21). A quoi bon
s'étendre plus au long ? Je n'ai
pas le temps de tout dire; passons donc sous silence une foule d'autres
abominations,
et disons simplement: Je renonce à toutes les oeuvres dont nous
rendons complices le
soleil, la lune, les étoiles, l'eau des fontaines, l'ombrage
des arbres, les chemins, les
liqueurs et les coupes du festin; je renonce à tant d'autres
actes absurdes, dont je
rougirais de dire même les noms. Oui, plongés dans les
eaux du baptême, nous
renonçons à tout ce que nous savons bien n'être
que des oeuvres du démon. C'est à
son école, quand nous étions enveloppés dans ses
profondes ténèbres, que nous
avons appris à les connaître, avant que la lumière
vint briller à nos yeux, quand nous
étions vendus au péché (I Jn 1; I Pi 2). Mais
du moment où le Dieu plein de bonté et
de miséricorde a daigné nous arracher à toutes
ces misérables déceptions (Rom 7),
"l'Orient d'en haut est venu nous visiter" (Luc 1,78), la grâce
du salut nous est
apparue, elle s'est donnée comme rançon pour nous, elle
nous a arrachés au culte
des idoles, et s'est plu à nous renouveler par les eaux et en
esprit. Nous avons donc
tout quitté, nous avons dépouillé le vieil homme
et ses actes impurs, nous avons
revêtu le nouvel Adam (Ep 4; Col 3). Ainsi se laisser entraîner
aux péchés dont j'ai
parlé, c'est, après avoir reçu la grâce,
en perdre tous les heureux effets; et à quoi
servira le Christ Lui-même à celui qui persévère
dans le crime ?
Bien-aimés de Jésus Christ, avez-vous entendu à
combien de vos péchés vous avez
renoncé dans le peu de mots qui expriment cette renonciation
? Eh bien! c'est en ce
moment terrible que chacun de nous aura à répondre, quand
il lui sera demandé s'il a
gardé ses promesses. Il est écrit: "Vous serez justifiés
par vos paroles" (Mt 12,37). Et
ailleurs : "Méchant serviteur, je te condamne par ta propre
bouche" (Luc 19,22). Il
est donc évident que c'est à nos discours qu'est attachée
la condamnation ou la
justification de notre vie. Mais comment les hommes sont-ils interrogés
? D'abord les
pasteurs, je veux dire les évêques, sont interrogés
sur leur propre administration et
sur leur troupeau, et on leur demande compte des brebis qu'ils ont
reçues du Christ,
le premier des pasteurs; si donc une seule brebis a péri par
la négligence de l'évêque,
c'est de son sang qu'il doit payer le sang répandu. Après
eux s'avancent les prêtres,
puis les diacres, ensuite tous les fidèles, qui doivent déclarer
ce qu'ils ont fait, les
premiers des églises qui leur avaient été confiées,
les seconds de leur propre famille,
de leur femme, de leurs enfants, de leurs serviteurs et de leurs servantes
(Ep 6), s'ils
les ont élevés, instruits dans la connaissance et la
crainte de Dieu, comme le veut
l'Apôtre. Ensuite vous voyez paraître les rois, les princes,
les riches, les pauvres, les
grands et les petits, qui tous viennent déposer aux pieds du
souverain Juge l'aveu de
ce qu'ils ont fait sur la terre; car on lit dans les Écritures:
"Nous paraîtrons tous
devant le tribunal de Jésus Christ, afin que chacun reçoive
ce qui est dû aux bonnes et
aux mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il était
revêtu de son corps" (Rom
14,10; II.Cor 5,10). Et ailleurs: "Nul n'est délivré
de ma Main" (De 32,39).
Ne nous apprendras-tu pas ce qui vient à la suite ?
Je vous parlerai dans la douleur de mon coeur; vous n'êtes pas
en état d'entendre ce
qui doit suivre ces premiers instants. Reposons-nous quelque temps,
bien-aimés de
Jésus Christ.
Ils s'écrièrent de nouveau :
- Quoi donc! y a-t-il quelque chose de plus terrible que ce que nous
avons déjà
entendu ?
Et Ephrem leur répondit en pleurant :
- Je le dis avec des larmes amères; car qui pourrait retenir
ses pleurs au récit de ce
qui va suivre ? Mais puisque l'Apôtre dit: "Donnez en dépôt
à des hommes fidèles ce
que vous avez appris" (II.Ti 2,2), et puisque vous êtes fidèles,
mes frères, je vais
donc vous raconter ce que vous aurez soin à votre tour à
apprendre aux autres. Bien
que mon coeur soit en proie à la plus vive douleur, quoiqu'il
recule d'horreur à ce
récit, écoutez cependant, mes frères, et partagez
ma souffrance.
Lorsque chacun, après ce redoutable examen, aura fait l'aveu
de ses oeuvres en
présence des anges et des hommes, "tous ceux qui s'opposaient
à Dieu seront mis
sous ses Pieds, toute domination, toute puissance sera détruite,
et tout genou fléchira
devant le Seigneur" (I.Cor 15,24; Rom 14,11; Is 45,24; Ph 2,10), et
ainsi qu'il est
écrit: "Il séparera les uns d'avec les autres, comme
un berger sépare les brebis des
boucs" (Mt 25,37). Ceux qui sont riches en bonnes oeuvres et qui ont
produit de bons
fruits sont séparés à jamais des pécheurs
et de ceux qui ont été stériles. Les premiers
brilleront de tout l'éclat du soleil, parce que, fidèles
aux commandements du
Seigneur, ils ont été miséricordieux, ils ont
aimé les pauvres et les orphelins, les ont
reçus dans leurs demeures, les ont vêtus quand ils étaient
nus, ont visité les
prisonniers dans leur cachots, sont venus en aide aux travailleurs,
ont couru aux lits
des malades et de ceux qui sont dans l'affliction, comme dit le Seigneur;
ils aspirent
aux richesses qui ont été placées dans le ciel;
pleins d'indulgence pour les fautes de
leurs frères; ils ont gardé sur leur front, inaltérable
et pur de toute hérésie, le signe
de la foi. A eux la droite, la gauche aux boucs. Quels sont ces derniers
? Tous ceux qui
ont langui sans rien produire, ont allumé le courroux du bon
Pasteur, et qui, dans leur
orgueil et leur ignorance, insensibles à la voix de leur Maître,
ont, dans ce temps de
pénitence, livré leurs coeurs aux voluptés et
ont usé les restes d'une vie honteuse
dans l'ivresse et les plus sales débauches; vraies images de
ce riche au coeur dur, qui
vit sans pitié les maux du pauvre Lazare. Ainsi ceux qui sont
rejetés à la gauche (Luc
16,10) sont condamnés, car ils ont manqué de miséricorde,
la pitié ne s'est jamais
fait entendre à leurs coeurs, ils ont résisté
aux exhortations de la pénitence, et leur
lampe s'est éteinte faute d'huile. Mais les justes, qui ont
rempli leurs vases de l'huile
achetée des pauvres, resplendissants de gloire, le front joyeux,
portant dans leurs
mains des lampes éclatantes, prennent place à leur droite,
et recueillent avec délices
la douce parole qui leur est adressée: "Venez, bénis
de mon Père, possédez le
royaume qui vous a été préparé depuis le
commencement du monde" (Mt 25,34). A
l'oreille des autres, au contraire, retentissent ces mots terribles,
cet arrêt sévère:
"Arrière, maudits, allez au feu éternel qui a été
allumé pour les démons et pour ses
anges" (Mt 25,41). Vous n'avez pas été miséricordieux,
vous n'obtiendrez pas
aujourd'hui miséricorde. Ma parole n'a pu pénétrer
jusque dans vos âmes, eh bien, Je
serai sourd aujourd'hui à vos cris et à vos plaintes.
Vous avez dédaigné de Me servir;
vous M'avez refusé des aliments quand la faim torturait mes
Entrailles; quand J'avais
soif, vous ne M'avez pas donné à boire; quand J'étais
voyageur, vous ne M'avez pas
reçu; J'étais nu et vous M'avez laissé sans vêtements;
malade, Je ne vous ai pas vus
près de ma couche, et vous n'êtes pas descendus pour Me
consoler dans les ténèbres
de ma prison. Vous avez été les ministres et les serviteurs
d'un autre maître, du
démon; éloignez-vous donc de Moi, artisans d'iniquité.
"Et alors ceux-ci iront dans le
supplice éternel, et les justes dans la vie éternelle"
(Mt 25,46).
Ils vont tous au supplice; mais y a-t-il différentes sortes de
supplices ? Il y a
différents lieux assignés aux tourments qui les attendent,
comme nous l'apprend
l'Évangile; il y a des ténèbres extérieures
(Mt 8,12; Mc 9,42), mais on ne peut douter
qu'il n'y en ait aussi d'intérieures. Ailleurs est la géhenne
de feu, ailleurs sont les
grincements des dents. Le ver qui ne dort pas est dans un autre endroit
(Ap 19.20);
dans un autre aussi se trouve l'étang de feu (II.Pi 2,4); ici
le lieu assigné
particulièrement au Tartare; là la région du feu
inextinguible; l'enfer et la perdition
ont chacun leur place; plus loin sont les parties les plus basses de
la terre (Ep 4,9);
l'abîme de l'enfer, lieu plus horrible encore, où les
pécheurs sont livrés aux peines les
plus cruelles. Ces malheureux se rendent aux différents lieux
qui leur sont marqués;
chacun selon la gravité de ses péchés, est traité
avec une rigueur dont elle est la
mesure même, comme il est écrit; car "chacun est lié
par la chaîne de ses péchés"
(Pro 5,22). Et cette autre parole: "L'un sera battu rudement, l'autre
le sera moins"
(Luc 12,47-48). Il y a sur la terre une gradation dans les peines,
il en sera de même
dans le ciel. Ceux qui mourront sans avoir éteint les feux de
la haine qui les a divisés
seront impitoyablement condamnés au jour du Jugement, et ils
seront rejetés dans le
feu extérieur, dans les ténèbres éternelles,
parce qu'ils n'auront eu que du mépris
pour ce commandement si facile à suivre du Seigneur qui a dit:
"Aimez-vous les uns
les autres, et pardonnez-vous jusqu'à soixante-dix-sept fois
sept fois" (I Jn 3,11; Mt
18,22). L'homme qui a péché ne doit pas se reposer dans
une sécurité perfide, ni se
livrer non plus au désespoir, "parce que nous avons, un avocat
auprès du Père, Jésus
Christ qui est juste, et c'est Lui qui est la Victime de propitiation
pour nos péchés"
(I.Jn 2.12) : non pour ceux qui laissent s'écouler leurs jours
dans une molle incurie,
livrés tout entiers aux joies et aux plaisirs, mais pour ceux
qui pleurent, font
pénitence et crient vers Lui le jour et la nuit : ils recevront
du saint Esprit un trésor de
consolation. Mais celui qui oublie la faute qu'il vient de commettre
sera frappé, en
mourant, par les traits de la colère divine qui tomberont sur
lui et il dira avec
Manassé : "Redoutable est la colère qui a inspiré
tes Menaces contre les pécheurs"
(Prière de Manassé 5; Is 5).
Malheur au débauché, à l'ivrogne; malheur à
ceux qui se gorgent de vin au bruit des
instruments de musique, qui, sans égard pour les oeuvres de
Dieu, ne se rappellent
jamais sa sainte Parole! Malheur à ceux qui outragent ses divines
Écritures! Malheur à
ces hommes qui consacrent le temps de pénitence aux triomphes
de l'orgueil, et
diffèrent de se convertir, pour ne s'occuper que d'objets frivoles
et ridicules! Le temps
qu'ils ont perdu, ils le chercheront alors; mais ils ne le retrouveront
plus. Malheur à
ceux qui se sont livrés aux esprits de l'erreur et à
des doctrines diaboliques (I.Ti 4,1),
car ils seront condamnés avec leurs maîtres insensés!
Malheur à ceux qui écrivent
l'iniquité! à ceux qui s'abandonnent à des pratiques
sacrilèges, aux enchantements, à
la divination, qui corrompent la jeunesse (Sg 18) et commettent mille
autres
détestables crimes! à ceux qui privent l'ouvrier de son
salaire, car c'est répandre son
sang que de lui enlever le prix de son travail! Malheur aux juges iniques
qui, en
absolvant l'impie, dépouillent le juste de ses droits! Malheur
à ceux qui souillent leur
foi par des hérésies et qui suivent les drapeaux des
apôtres du mensonge! à ceux que
dévorent une incurable maladie, c'est-à-dire l'envie
et la haine! Mais pourquoi cette
fatigante énumération ? pourquoi ne pas borner à
se dire: Malheur à ceux qui, dans
ce jour terrible, seront placés à la gauche; car ils
seront enveloppés de ténèbres, et
ils pleureront amèrement quand ils entendront prononcer, les
uns, ce funeste arrêt:
"Arrière, maudits!" (Mt 25,41) les autres: "Les pécheurs
seront précipités aux enfers!"
(Ps 9,18); ceux-ci: "En vérité, Je vous le dis, Je ne
vous connais pas, éloignez-vous,
artisans d'iniquité!" (Luc 13,27) ceux-là, je veux dire
les envieux: "Recevez ce qui
vous appartient et allez!" (Mt 20,14) Où donc ? aux mêmes
lieux que ceux à qui il a
été dit: "Éloignez-vous de moi, maudits, allez
au feu de l'enfer!" (Mt 25,41)
Quelques-uns: "Liez leurs pieds et leurs mains, et jetez-les dans les
ténèbres
extérieurs", quelques autres enfin seront, comme l'ivraie, précipités
dans le feu qui
doit les consumer (Mt 22).
Plus d'une voie est ouverte au salut, plus d'une demeure est réservée
au juste dans le
royaume des cieux, et comme il y a mille sortes de péchés
et d'erreurs, il y a aussi
mille différents supplices. O vous qui avez des larmes dans
les yeux, de la
componction dans le coeur, pleurez, pleurez avec moi au souvenir de
ce terrible
partage dont l'idée m'épouvante, frères bénis
de Dieu! car c'est à ce moment cruel
que nous serons séparés les uns des autres, et que chacun
se rendra dans le séjour
qui lui sera assigné et qu'il ne devra plus quitter. Quel coeur
serait assez dur pour ne
pas pleurer, quand évêques, prêtres, diacres, sous-diacres
et lecteurs seront à jamais
arrachés des bras de ceux qui ont été leurs compagnons
dans la vie et qui ont porté
les mêmes fardeaux ? Et ceux qui ont été rois sur
la terre, ils pleureront aussi et
seront chassés comme de vils esclaves; avec eux s'en iront,
le coeur gros de soupirs,
les princes, les riches sans miséricorde; ils jetteront de tous
côtés de regards inquiets,
ils imploreront des secours que nul ne pourra donner à leur
faiblesse. Plus de trésors,
plus de flatteurs, point de pitié pour eux; car leurs oreilles
furent toujours fermées
aux cris du malheur, et ils ne se sont pas fait à l'avance des
provisions de salut dont
ils puissent user maintenant. C'est en parlant de ces hommes que le
prophète a dit :
"Ils ont dormi leur sommeil, et ils n'ont rien trouvé" (Ps 75,6).
Alors, mes frères, le
père sera séparé de son fils, l'ami de son ami;
alors seront entraînés loin l'un de
l'autre les époux qui n'ont pas conservé pur le lit nuptial;
alors seront rejetées ces
vierges dont le corps fut chaste, mais dont le coeur fut sans pitié.
Car il n'y aura pas
de miséricorde pour celui qui n'a pas eu la miséricorde.
Mais l'effroi que m'inspire ce
récit, la crainte que jettent dans mon coeur ces cruelles images,
m'empêchent
d'entrer dans de plus longs détails; et, pour tout dire en peu
de mots, les pécheurs,
hélas! seront repoussés du saint tribunal, chassés,
frappés par les gens irrités,les
membres palpitants, ils tourneront les yeux sur les justes et vers
cet asile de paix et
de bonheur d'où ils seront bannis. L'éclat d'une lumière
ineffable vient baigner leurs
regards avides qu'éblouissent toutes les beautés du paradis,
où ils voient ceux qu'ils
ont connus sur la terre s'empresser de recevoir les riches dons que
leur a préparés le
Roi de gloire. Puis, arrachés d'avec les justes, d'avec leurs
amis et leurs proches, ils
seront éloignés violemment de la vue de Dieu même,
dont les joies pures et
l'éclatante lumière s'effacent à jamais pour eux.
Enfin, ils arrivent au seuil du séjour
affreux des supplices qui les attendent.
A l'aspect de l'isolement où ils sont tombés, l'espoir
s'éteint, plus de secours à
attendre, plus de défenseurs, car le jugement de Dieu est juste,
et ils s'écrient en
hurlant: Ah! combien avons-nous perdu de temps dans l'oisiveté!
De quelles illusions
nous avons été le jouet! Hélas! comme nous nous
sommes raillés des saintes
Écritures! C'était la voix de Dieu qui s'y faisait entendre,
et nous ne l'avons pas
écoutée! Nos cris implorent aujourd'hui sa Bonté,
mais Il a détourné de nous sa Face
indignée! Oh! pourquoi nous sommes-nous laissés aller
aux séductions du siècle ? A
quoi nous a-t-il servi d'obéir au monde ? Où sont les
parents de qui nous avons reçu
le jour ? Où sont nos frères, nos fils, nos amis, nos
richesses ? Où sont les biens, les
plaisirs, ces trésors inutiles que nous avions amassés
? Que sont devenus les rois et
les princes ? Eh quoi! pas un d'eux ne peut nous sauver ? pas un d'eux
qui puisse nous
prêter quelque appui ? ... Nous sommes, hélas, abandonnés
de Dieu et des saints!
Que faire, malheureux ? le temps du repentir est passé. Que
pourrait faire une vaine
protection ? que pourraient faire des larmes superflues ? Plus de pauvres,
plus
d'indigents qui se pressent autour de nous et nous vendent le fruit
de leur travail;
nous voilà seuls maintenant! Quand nous avions le temps et le
moyen, et que ces
infortunés nous criaient en pleurant: "Achetez", nous fermions
les oreilles et nous
n'achetions rien. C'est à notre tour de chercher, d'implorer;
et rien, rien ne vient à
nous. Nous n'avons pas à espérer d'être délivrés
de nos misères; nous n'avons pas à
compter sur la pitié, nous n'en sommes pas dignes. Le jugement
de Dieu est juste.
Nous ne verrons plus les saintes légions des justes, nous ne
verrons plus la véritable
lumière. Tout nous abandonne. Et que dire encore ? Adieu, adieu
à jamais, saints et
justes! adieu, prophètes, apôtres et martyrs du Seigneur!
adieu, patriarches et
solitaires! adieu, croix, source de vie et de gloire! royaume des cieux,
adieu! adieu,
céleste Jérusalem! délices du paradis, adieu!
auguste mère du Sauveur, d'un Dieu
plein de miséricorde, adieu! adieu, parents, famille, enfants
que nous ne verrons plus
jamais!" Ils partent alors pour le séjour des douleurs où
leurs crimes ont marqué
leurs places, où le remords, comme un ver rongeur, se dresse
sans cesse contre eux,
où brûle un feu qui ne s'éteint jamais.
Eh bien, mes frères, j'ai satisfait à vos désirs,
j'ai répondu à vos voeux! Vous savez
maintenant quel sort nous nous préparons par nos fautes; vous
savez maintenant ce
qu'on gagne à se laisser aller à cet engourdissement
du coeur, à cette paresse
d'esprit qui s'oppose à la pénitence. Vous avez entendu
les sarcasmes cruels qui sont
tombés sur ceux qui se rient des préceptes de Dieu; je
vous ai dit à combien
d'illusions nous livre le siècle en corrompant nos âmes;
quelle amertume empoisonne
ceux qui se font un jeu des saintes Écritures. Gardons-nous
de ces vaines chimères,
mes bien-aimés frères; défendons-nous de ces pensées
d'incrédulités qui ne nous
présentent le Jugement que sous les couleurs du mensonge. Mais
croyons fermement
en Dieu, croyons à la résurrection des morts, au jugement
et à la rétribution que
chacun a méritée par ses bonnes et par ses mauvaises
actions; et, foulant aux pieds
toutes les choses de la terre, pensons à nous mettre à
l'abri, par nos actes, des arrêts
du tribunal terrible qui nous jugera dans ce moment redoutable. Car
c'est l'heure des
gémissements, de la douleur, des souffrances: c'est l'heure
où la vie tout entière est
justifiée ou condamnée.
Mais cette heure qui nous épouvante, ce jour qui doit se lever
si plein de menaces, les
saints prophètes et les apôtres l'ont prédit. D'un
bout de la terre à l'autre, les églises,
les villes ont retenti du bruit de cette grande voix qui l'annonce:
"Ouvrez les yeux,
veillez, soyez sobres, miséricordieux, priez, tenez-vous prêts,
parce que vous ne
savez ni le jour ni l'heure où le Seigneur viendra" (Mt 25,14).
Voilà, comme je le
disais, les saintes paroles que nous adressent, en versant des larmes,
ces hommes
inspirés de Dieu, dans l'attente de ce grand jour. Écoutez
le prophète Isaïe : "Voici
que le Seigneur va venir pour dépeupler la terre et perdre les
pécheurs" (Is 13,9).
Écoutez encore : "Voici le Seigneur qui vient, apportant à
chacun la récompense de
ses oeuvres" (Is 40,10 et 62,12). Un autre prophète s'écrie:
"Voici le Seigneur qui
vient; qui pourra seulement penser au jour de son Avènement,
ou qui pourra en
soutenir la vue" (Mal 3,2) ? Un autre dit aussi: "Seigneur, j'ai entendu
tes paroles, j'ai
tremblé, mes entrailles se sont émues" (Hab 3,16). Le
Seigneur dit par la bouche
d'un autre prophète : "A Moi la vengeance et la rétribution"
(De 32,35) et "nul n'est
délivré de ma Main" (De 32,39). David dit en parlant
de ce jour fatal: "Dieu viendra
manifestement, notre Dieu viendra, et Il ne se taira point. Le feu
s'enflammera en sa
Présence, et une tempête violente L'environnera" (Ps 49,3).
L'apôtre Paul dit encore:
"Au jour où Dieu jugera tout ce qui est caché dans le
coeur des hommes, selon
l'Évangile que je prêche" (Rom 2,16). Et ailleurs : "Voyez
donc dans quelle voie vous
marchez" (Ep 5,15) : "il est redoutable de tomber dans les mains du
Dieu vivant" (Hé
10,30). Et le bienheureux Pierre, le prince des apôtres, s'écrie
en parlant de ce jour :
"Le jour du Seigneur viendra comme un larron pendant la nuit; et les
éléments
embrasés se dissoudront, et la terre sera brûlée
avec tout ce qu'elle contient" (II.Pi
3,10). Mais que parlé-je ici de prophètes et d'apôtres
? Notre Seigneur, notre Maître
et notre Dieu rendu témoignage de ce jour funeste: "Prenez donc
garde à vous, de
peur que vos coeurs ne s'appesantissent par l'excès de viandes
et du vin et par les
inquiétudes de cette vie, et que ce jour ne vous vienne tout
d'un coup vous
surprendre; car il enveloppera comme un filet tous ceux qui habitent
sur la surface de
la terre" (Luc 21, 34-35). "Tenez-vous donc aussi toujours prêts,
parce que le Fils de
l'homme viendra à l'heure que vous n'y penserez pas, et efforcez-vous
d'entrer par la
porte étroite qui conduit à la vie" (Luc 12, 40).
Marchons dans cette voie, mes frères, pour arriver un jour à
l'héritage de la vie
éternelle. En effet, c'est le prix réservé à
l'homme qui la suit. Cette voie, n'est-ce pas
la vie ? Même si peu de chrétiens savent la trouver, sachons,
mes bien-aimés, ne pas
nous en écarter. Qu'aucun de vous n'en sorte, s'il ne veut pas
se perdre; car le
Prophète a dit: "Prenez garde que le Seigneur ne s'irrite, et
que vous ne périssiez
hors des voies de sa Justice" (Ps 2,12). Écoutez encore cette
parole du Seigneur: "Je
suis la Lumière du monde, Je suis la Vie; Je suis la Porte,
si quelqu'un entre par Moi, il
sera sauvé. Je suis la Voie, et celui qui Me suit ne se heurtera
point, parce qu'il verra
la lumière de la vie" (Jn 8,12; 10,9 et 11,9). Marchons donc
dans l'heureux sentier
qu'ont parcouru tous ceux qui ont voulu s'unir à Jésus
Christ; il est étroit sans doute,
mais le bonheur nous attend au terme; il est âpre et triste,
mais la récompense qu'il
promet est douce et riante; il est resserré entre les défilés,
mais le lieu de repos est
vaste; sur les bords se trouvent la pénitence, le jeûne,
la prière, les veilles,
l'humilité, la pauvreté d'esprit, le mépris de
la chair, la vigilance, une couche sur la
terre, l'abstinence du bain, une nourriture aride et sèche,
la faim, la soif, la nudité, la
pitié, les larmes, les gémissements, les soupirs, les
génuflexions, l'ignominie, la
persécution, le larcin, les mauvais traitements, les travaux
des mains, les dangers,
les embûches; c'est là qu'il faut se résoudre à
ne pas répondre à un outrage par un
autre outrage, à ne pas haïr ceux qui nous haïssent,
à souffrir le mal et à rendre le
bien en échange; à pardonner à ceux qui nous ont
offensés, à mourir pour ses amis,
et enfin à répandre son sang pour le Christ, quand il
le faut. Si quelqu'un est assez
heureux pour entrer par cette porte étroite, il recevra pour
prix le bonheur dans les
cieux, le bonheur éternel.
Mais l'autre porte est large et spacieuse, elle conduit à la
mort; l'abord en est plein de
charmes, mais la douleur est assise derrière; ici des objets
charmants, là
empoisonnés d'amertumes; ici rien ne nous pèse, là
tout est lourd et accablant; ici on
les juge futiles, sans importance, sans conséquences dangereuses;
là, semblables à
des bêtes féroces, ils entourent le pécheur qui
ferme son coeur à la pénitence, selon
ces paroles du Prophète: "Je serai enveloppé dans ce
jour funeste dans l'iniquité de
ma voie" (Ps 48,6); il veut dire l'iniquité de la vie, et par
ce mot il entend chacun des
pas que l'on fait dans la voie large, et dont l'Apôtre a fait
en partie l'énumération :
"La fornication, l'adultère, l'impudicité, l'idolâtrie,
la discorde, la jalousie, la colère,
les séditions, l'envie, le meurtre, et autres choses semblables"
(Ga 5,19-21). Voilà les
degrés de cette voie spacieuse, de cette vie qu'accompagnent,
pour l'enivrer de leurs
philtres corrupteurs, les jeux, les délices, les cris de joie,
les harpes et les flûtes, les
danses, les bains, les moelleux tissus, les festins somptueux, les
applaudissements et
les félicitations de la foule, des hymnes d'un triomphe anticipé,
des couches délicates,
des unions illégitimes, des appétits charnels que rien
ne peut satisfaire, la discorde
allumant sa torche dans le sein des frères, et ce qui est plus
affreux mille fois,
l'impénitence et l'oubli de la mort. C'est un sentier rude où
trop de malheureux
s'engagent témérairement, et au bout duquel les attend
un séjour digne d'eux, où ils
verront la faim succéder aux plaisirs, la soif à l'ivresse,
la douleur au repos, les pleurs
aux rires, les gémissements aux accords de la harpe, la maigreur
à un heureux
embonpoint, les chagrins à une douce quiétude, la société
des démons aux orgies de
la danse, et enfin à tout ce qui excitait les désirs,
charmait les esprits, à toutes les
passions extravagantes ou criminelles les ténèbres extérieures,
le feu de l'enfer, et
cent autres tourments, tribut imposé par la mort qui déchire
ses propres brebis, ses
propres disciples, et ses amis qui ont suivi la voie large et spacieuse,
comme dit le
Prophète: "Ils ont été placés dans l'enfer
comme des brebis, et la mort les dévorera"
(Ps 48,15).
Pour nous, mes frères bien-aimés en Jésus Christ,
fuyons ce sentier empesté, et ne
fermons pas les oreilles à cette parole du Seigneur: "Efforcez-vous
d'entrer par la
porte étroite; car Je vous le dis, plusieurs chercheront à
y entrer, et ils ne le
pourront" (Luc 13,24). Voilà ce que nous crient le Seigneur
et les hommes qu'Il a
inspirés de son Esprit. C'est en pensant à ce grand jour
que les saints martyrs, sans
être arrêtés par les douleurs du corps, ont enduré
les plus cruels supplices, dans
l'espérance de mériter la couronne de gloire; d'autres,
enfoncés dans la profondeur
des solitudes, cachés dans les antres des montagnes, ont jeûné
et jeûnent encore, ont
lutté sans cesse contre les désirs de la chair : ce ne
sont pas seulement des hommes,
ce sont même des femmes, ce sexe si faible et si délicat,
qui, se précipitant par la
porte étroite, ont conquis le royaume des cieux. Qui donc ne
rougira pas de honte
quand des femmes seront couronnées au jour du Jugement, et qu'une
foule
d'hommes seront couverts d'ignominie ? "Il n'y a plus ici ni d'homme,
ni de femme"
(Ga 3,28); mais "chacun recevra sa récompense selon ses oeuvres"
(I.Cor 3,8). Ce
ne sont pas les montagnes et les déserts seulement qui ont été
témoins de ces
prodiges, c'est dans les villes surtout, dans les îles, dans
les églises qu'ils ont éclaté,
lorsque les élus de Dieu, chacun dans sa condition, observaient
fidèlement ses pieux
Commandements, tous fidèles à la loi, évêques,
prêtres, et les autres ordres de
l'Église, rois et princes, grands et nobles. Car Dieu n'admet
pas de distinction de
classes, Dieu n'a pas de prédilections exclusives; mais Il le
dit Lui-même: "Partout où
ils sont réunis en mon Nom" (Mt 18,20), dans les déserts,
sur les montagnes, dans les
grottes, dans tous les lieux où s'exerce mon empire, "Je suis
au milieu d'eux" (Mt
18,20) et J'y resterai jusqu'à la consommation des siècles,
et après cette vie Je ferai
paître cet heureux troupeau dans l'éternité.
En pensant au Jugement et à l'inflexibilité du Juge, David
mouillait toutes les nuits sa
couche de larmes, et implorait le Seigneur en disant: "N'entre pas
en jugement avec
ton serviteur" (Ps 142), ne me cite pas à ton Tribunal, Miséricordieux;
et
permets-moi, sans défense comme je le suis, de Te supplier de
désarmer ta Justice
irritée, et de me traiter avec bonté. Car si Tu appelles
devant Toi tous les hommes, il
n'y aura pas même un qui sera justifié. Voyez, mes frères,
quelles craintes ce jour et
cette heure inspirent à David, tombé aux pieds de Dieu
et préparé à ce terrible
appel.Venez donc, ô vous les bien-aimés de Jésus
Christ, avant que ce jour ne se
lève, avant que les liens qui nous unissent ne soient brisés,
venez avec moi avant que
Dieu ne se manifeste et ne nous surprenne dans notre imprévoyance;
venez et
"disposons-nous à paraître devant sa Face par la confession",
la pénitence, la prière,
le jeûne, les larmes, l'accueil envers les voyageurs: voilà,
mes frères, ce que nous
avons à faire, les précautions qu'il nous faut prendre.
Ne cessons point de faire
pénitence, de prier, de nous tenir prêts à recevoir
le Seigneur, hommes et femmes,
riches et pauvres, esclaves et hommes libres, vieux et jeunes.
Veillons à ce qu'aucun de nous ne puisse dire: "Parce que j'ai
beaucoup péché, mes
fautes ne me seront pas remises". Ce langage dans la bouche d'un chrétien
prouve
qu'il ignore que Dieu est le Dieu de ceux qui se repentent, qu'Il vient
pour punir ceux
qui vivent dans le mal, et qu'Il a dit: "Il y a grande joie dans le
ciel pour un seul
pécheur qui fait pénitence" (Luc 15,7); et ailleurs:
"Je suis venu pour appeler non les
justes mais les pécheurs à la pénitence" (Luc
5,32). Et la véritable pénitence consiste
à s'abstenir du péché, à le haïr,
selon cette parole du Prophète: "J'ai haï l'iniquité
et
je l'ai eue en abomination" (Ps 118,163). Et encore : "J'ai juré,
j'ai résolu fortement
de garder les jugements de ta Justice" (Ps 118,106). C'est alors que
Dieu accueille
avec joie celui qui vient à Lui.
Que personne ne dise dans son fol orgueil : "Je n'ai point péché"!
Parler ainsi, c'est
être aveugle, c'est vouloir se tromper soi-même, c'est
ne pas savoir comment le
démon, comme un larron adroit, se glisse dans nos paroles, dans
nos oeuvres,
entend par nos oreilles, voit par nos yeux, touche par nos mains et
inspire nos
pensées. Qui donc osera dire que son coeur est pur, et que ses
sens ne l'ont pas
égaré ? Nul n'est sans péché, nul n'est
sans souillure, nul parmi les hommes n'est tout
à fait innocent, si ce n'est pourtant Celui qui, riche, S'est
fait pauvre pour nous. Oui,
Celui-là seul est sans péché, qui est venu délier
les péchés du monde, qui veut sauver
tous les hommes et qui ne veut pas la mort du pécheur; Il aime
l'homme, son Coeur
est un trésor de miséricorde; Il est bon, propice, tout-puissant,
rédempteur du genre
humain, le père des orphelins, le justicier des veuves, le Dieu
de ceux qui font
pénitence, le médecin des âmes et des corps, l'espérance
des affligés, le port de ceux
qui sont battus par la tempête, l'appui des infortunés
que tous ont abandonnés, la
voie de la vie enfin, et qui nous appelle tous à la pénitence,
et qui ne rejette pas les
pécheurs repentants. Réfugions-nous dans ses Bras; c'est
en Lui que nous trouverons
notre salut.
Ne désespérons pas de notre salut, mes frères;
avons-nous péché ? faisons
pénitence. Avons-nous péché mille fois ? que mille
fois aussi le repentir pénètre dans
nos âmes. Toute bonne oeuvre est agréable à Dieu;
mais c'est surtout un coeur
repentant qu'Il aime : Il va tout entier à lui, Il lui tend
une main secourable, Il
l'appelle en disant: "Venez à Moi, vous tous qui êtes
dans la peine"; Je ne rejetterai
point le pécheur qui vient à moi; "venez à Moi,
vous tous qui êtes chargés, Je vous
soulagerai" (Mt 11,28), dans la cité éternelle. C'est
là que mes saints se reposent
dans une douce joie. Venez boire à cette coupe de félicité
inépuisable, dont les
charmes ne peuvent se comparer à rien, que le langage est impuissant
à expliquer;
venez vous rassasier des biens "après lesquels soupirent les
anges" (I.Pi 1,12) et
l'assemblée des justes.
Le sein d'Abraham s'ouvre à tous ceux qui, comme le pauvre Lazare,
ont gémi dans
les douleurs; là sont étalés mes riches trésors;
là s'élève le Jérusalem céleste,
heureuse patrie des premiers-nés de mon Père; là
vous offre un abri la douce région
des coeurs pacifiques. "Venez tous à Moi et Je vous soulagerai";
car dans ces lieux
charmants tout est repos et liberté, tout s'éclaire de
la lumière de Dieu; point
d'esclaves, point de tyrans; point de péchés, point de
remords; tout y brille d'un pur
éclat, tout y est inondé d'ineffables délices.
"Heureux ceux qui pleurent" (Mt 5,5).
Laissez donc couler vos larmes, soyez repentants, convertissez-vous
à Moi, et
J'effacerai la trace de vos maux; alors plus de chagrins, plus de pleurs
amers, plus de
soucis cuisants, plus de dévorantes inquiétudes, plus
de plaintes. Convertissez-vous,
fils des hommes; et Je vous rendrai la tranquillité, Je ne ferai
point de distinction
entre l'homme et la femme; le double empire du démon et de la
mort sera détruit.
Vous n'aurez plus de jeûnes à pratiquer, plus de tristesse
qui vous perce le coeur, plus
de haines jalouses et d'ardentes rivalités; mais partout et
toujours, la joie, la paix, le
repos et le bonheur. Convertissez-vous, et Je ferai couler pour vous
des sources d'eau
vive, J'étendrai sous vos pas les frais tapis de gazon, de mes
Mains divines Je
cultiverai la vigne de chacun de vous; venez dans la contrée
où habitent les coeurs
humbles et doux; "c'est Moi qui suis la vraie Vigne dont mon Père
est le Vigneron" (Jn
15,1).
"Venez, vous tous qui êtes fatigués et courbés sous
le joug, venez, et Je vous
soulagerai" (Mt 11,28). Avec Moi est la vie, mais pure, mais inaltérable;
avec Moi
tous les plaisirs vous attendent. Venez, il n'y a près de Moi
rien que d'aimable, rien
que du bonheur, rien que d'éternel; avec Moi est la lumière,
mais inextinguible, et
mon soleil ne s'éclipse jamais. "Prenez mon joug sur vous et
apprenez de Moi que Je
suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes"
(Mt 11,29). Ici
se font entendre les sons joyeux des instruments de fête; ici
vous sont enfin
découverts les trésors cachés de la sagesse et
de la science. Venez tous à Moi, et Je
vous soulagerai; c'est ici que vous attendent une grande récompense,
une joie
incomparable, une félicité immuable, des concerts de
louanges sans fin, de
perpétuelles actions de grâces, des entretiens dont Dieu
seul est l'objet, un royaume
éternel, des richesses infinies, des siècles qui vont
se déroulant sans cesse, un abîme
de miséricorde, une mer de propitiation; tout ce qu'enfin ne
saurait expliquer la
parole imparfaite de l'homme, et dont on ne peut vous offrir qu'une
image
enveloppée d'un voile épais. Venez et vous verrez près
de Moi les régions
innombrables des anges, des premier-nés, les trônes des
apôtres, les sièges des
prophètes, les sceptres des patriarches, les couronnes des martyrs
et le triomphe des
justes. Ici tout reçoit le prix qu'il a su mériter; ici,
chacun a un séjour tout préparé.
Venez, vous tous qui avez faim et qui avez soif de la justice, Je vous
rassasierai des
biens que vous avez désirés et "que l'oeil n'a point
vus, que l'oreille n'a point
entendus et qui ne sont jamais montés au coeur de l'homme. C'est
là que je les tiens
en dépôt pour ceux qui ont déserté la voie
du mal, pour les hommes miséricordieux,
pour les pauvres d'esprit, pour ceux qui versent les larmes de la pénitence,
pour les
pacifiques, pour tous ceux qui ont souffert à cause de Moi la
persécution, et qui ont
été en butte à la calomnie et à l'amère
dérision.
Venez à Moi, vous tous qu'un poids pesant accable; rejetez loin
de vous le fardeau de
vos péchés; quiconque se réfugie dans mes Bras
est soulagé. Mais renoncez à de
funestes pratiques, oubliez les artifices que vous a enseignés
le démon, pour ne vous
souvenir que des pieuses leçons que Je vous ai données.
En s'approchant de Moi, les
mages renoncèrent à leur art imposteur, et reçurent
en retour la connaissance de
Dieu. Les publicains ont abandonné leurs comptoirs pour Me suivre,
et ils se sont
rassemblés en mon Nom. Les persécuteurs ont été
désarmés, et de bourreaux sont
devenus victimes sans se plaindre. Les femmes débauchées
ont déserté leurs
immondes plaisirs pour embrasser une vie de continence. Le fer est
tombé des mains
de l'assassin, son coeur s'est rempli de foi, et, renonçant
à son infâme métier, il s'est
acquis une place dans le paradis. Venez donc à Moi, parce que
"Je ne mettrai pas
dehors celui qui vient à Moi" (Jn 6,37).
Vous avez entendu, mes chers frères, les grandes et belles promesses,
les douces
paroles du Sauveur de nos âmes. Quel père fut jamais plus
tendre! quel meilleur
médecin! venez donc, adorons-Le, tombons à ses Pieds
et faisons l'aveu de nos
fautes. Gloire à sa Bonté! Gloire à sa Patience,
à sa Générosité, à son Indulgence!
Gloire au Dieu miséricordieux! Gloire à son règne
éternel! Gloire, honneur et
adoration à son Nom dans tous les siècles! Amen.
Je vous le dis, mes frères, et je ne cesserai de le répéter,
ne nous laissons point
entraîner à la paresse, à la crainte; ne cessons
de crier vers Lui nuit et jour, et de
pleurer. Car Il est plein de miséricorde, sa parole est sincère,
et sa vengeance sera
désarmée en faveur de ceux qui s'adressent à Lui,
pendant le jour ou quand il
s'éteint; Il est le Dieu des coeurs pénitents, Père,
Fils et saint Esprit; à Lui gloire et
puissance dans les siècles des siècles! Amen.