Ces expressions, fortes il est vrai, mais combien justes,
émanent de Dieu Lui-même et leur portée n'est nullement
exagérée. Pour les justifier, il suffit de penser à
tel innocent ruiné, à qui un faux témoignage a apporté
le déshonneur, la mort peut être; à telle femme couverte
du mépris de la société par la calomnie; à
tel homme trop confiant, dupé par des mensonges; à des enfants
scandalisés par des propos malsains.
Mais sans aller puiser des preuves dans ces fautes graves
et en demeurant dans le cercle d'observations que nous fournit notre propre
expérience, nous n'aurons que trop d'occasions de reconnaître
que de nos paroles légères, de nos propos inconsidérés,
de nos simples plaisanteries, de nos petites médisances peuvent
sortir bien des choses affligeantes pour nos frères et leur causer
bien du chagrin.
En général, on ne se fait pas une juste
idée des conséquences funestes que peuvent entraîner
des paroles, on ne songe guère qu'à l'effet produit au moment
où elles se prononcent.
Mais suivez-les, je vous prie, dans leur rapide voyage
de bouche en bouche, et vous serez effrayés des ravages qu'elles
vont faire. Ce ne sera, si vous le voulez bien, qu'une simple médisance,
qu'on ne fera que répéter. Mais pourquoi celui qui l'entend
la cacherait-il à celui que la répétera ensuite? Et
si cette parole se répercute d'écho en écho qui la
redisent tout à tour, faudra-t-il beaucoup de temps, je vous le
demande, pour qu'une famille, une assemblée, voire un village en
soient informés? Ce fait d'abord raconté avec exactitude,
sera dénaturé, grossi. Ce qui était vrai le matin
se trouvera faux le soir. Répété devant des inconnus
ou des indifférents, il parvient à l'oreille d'un ami, d'un
protecteur, d'un maître ... quels résultats néfastes:
brouilles entre voisins, reproches entre parents, perte de confiance d'un
supérieur, etc ... et voilà les fruits amers d'une simple
médisance.
Mais prenons un autre exemple. Suivons un jugement téméraire:
on n'affirme pas que le fait soit vrai, on le suppose seulement. Trop tard,
le trait est parti. Le premier a dit: "Peut être", le second ajoute
"C'est probable" puis "plus que probable", et le troisième dira
"C'est certain" avec un geste qui va loin ... et enfin chacun dira "On
l'a vu".
Puis, pour tout réparer, mais plutôt pour
tout gâter, un ami officieux rapporte à l'accusé ce
que l'on a dit de lui. Alors, la cible de toute cette médisance,
le point de mire des flèches acérées, celui autour
de qui gravite ce tourbillon de méchanceté, s'indigne que
l'on scrute ses intentions, s'irrite, recherche, remonte à la source
du bruit, se plaint et se justifie. Ceux qui ont dit et répété
ne veulent pas avoir tort, de là, explications, disputes, vengeance,
et chacun se retire en emportant dans le coeur une blessure qui saignera
toute la vie.
Mais un autre exemple encore. C'est une autre plaisanterie,
faite non pas aux dépens d'un absent, mais sur un homme présent
qui s'efforce de le prendre en riant. S'il est vif d'esprit, il renvoie
la flèche, et, de réponse en réponse, on arrive à
des paroles acerbes, amères, ironiques, et chacun veut sortir en
vainqueur de la joute oratoire. Si la victime est timide, elle est d'autant
plus douloureusement blessée qu'elle ne peut arracher le trait de
son coeur pour le renvoyer à son adversaire ...
Mais quelle peine, quelle colère contenue, quelle
haine peut être fermente dans ce coeur outragé ... alors que
l'amour n'agit pas avec inconvenance, ne fait pas de mal à son prochain.
Dans la bouche de l'Homme parfait, point de fraude, dit le prophète,
mais des paroles de grâce.
Je sais que toutes les médisances, tous les jugements
téméraires, toutes les railleries n'auront pas des conséquences
aussi graves, mais faut-il, à la guerre, que vingt balles portent
pour tuer un homme? Faut-il vingt traits pour faire saigner un coeur? Ne
reste-t-il pas, dans la vie de celui qui ne sait pas veiller sur sa langue,
assez de médisance, de raillerie, de paroles vaines et déplacées,
de méchanceté peut être, pour souiller bien des réputations,
brouiller bien des amis.
Qui pourra jamais dire le mal accompli de cette manière?
Personne, parce que la voie souterraine et sombre qu'il emprunte échappe
à l'observateur le plus attentif. Il est pratiquement impossible
de suivre, de bouche en bouche, une parole prononcée et répétée.
Il est surtout impossible d'apprécier le trouble qu'elle apporte
dans les esprits, mais chacun peut connaître l'effet que produit
sur son coeur une parole nuisible proféré en sa présence.
Et, malgré soi, il retient dans sa mémoire une prévention,
une certaine répugnance que la bonne conduite de celui qui l'accuse
ne réussit pas toujours à détruire.
Si, de chaque trait lancé, de chaque flèche
décochée il reste quelques traces douloureuses, quelle sera
la somme de mal produite pour une langue qui, durant une vie entière,
aura semé médisances, propos inconsidérés,
railleries, etc ...? Et dois-je le dire, les enfants témoins de
ces propos prêtent une oreille attentive et y sont bien plus intéressés
qu'à la lecture d'un chapitre de la Bible.
Encore, on ne croit pas faire un mauvais usage, on parle
d'un absent, on ne dit pas de mal, on raconte simplement son histoire.
Tout est vrai, rien n'est omis, on l'a vu soi-même. D'ailleurs, tout
le monde le sait; le répéter n'apprend rien à personne
... mais il ne fait pas que cela s'oublie! Du reste, on reconnaît
à l'absent de bonnes qualités, on les cite, on les énumère,
on en relève le prix ... mais, ajoute-t-on avec un aire de fausse
commisération, c'est bien dommage qu'à côté
de cela il y ait telle ou telle chose ... à part cela, i lest bien
brave ... enfin, qui n'a pas ses défauts?
Voyez, c'est comme tel autre qui ne lui ressemble pas
à cet égard, mais qui, d'un autre côté, tombe
dans des excès contraires; je l'ai d'ailleurs remarqué, ainsi
un jour ... ici recommence une nouvelle histoire, encore véritable,
citée en exemple. Avec cela, dit-on, je ne lui en veux nullement,
je lui rendrais volontiers service ... Cela s'est pour l'avenir. Pour le
présent, on le déchire innocemment, on l'égratigne,
on le blesse ...
D'autres fois encore on ne croit pas faire un mauvais
usage de sa langue, on donne simplement son avis: soyez prudent avec lui,
c'est la thèse générale. Mais bientôt, sous
un fallacieux prétexte, sans même peut être s'en apercevoir,
on passe au particulier, alors on ajoute: "Ne faites rien sans prendre
vos mesures avec cet homme.", il pourrait vous tromper, ou se tromper lui-même
... enfin, je ne puis rien vous dire de formel, je ne le connais pas suffisamment,
vous le connaissez sans doute mieux que moi. Mais enfin, je puis vous donner
le conseil de prendre toutes vos précautions. Je parle dans votre
intérêt, etc ...
Alors quel est le résultat le plus clair de ces
paroles sans fondement? L'auditeur intéressé écoute
avec attention, ses soupçons sont éveillés, sa confiance
est détruite pour toujours; il gardera par devers lui une fausse
opinion de celui qui était l'objet de l'entretien, et les conséquences
néfastes de cet avis ne sauront jamais être appréciées
à leurs valeurs.
Quelles raisons donner à de tels conseils? Une
seule: le plaisir de se faire écouter, de se donner une importance
capitale dans les relations entre amis.
Un autre écoute seulement, approuve d'un sourire.
Par complaisance, il ajoute un mot à la conversation (il faut bien
répondre à qui l'interroge), puis y abonde aussi en citant
son trait.
Celui-là commence par faire une éloge pour
être mieux cru quand il fera la critique, et ainsi il pourra s'attribuer
le mérite de l'impartialité. Quelqu'un citera un tort. Mais
ce sera pour l'excuser. Quelqu'un d'autre parlera de ses propres défauts
afin de pouvoir, en toute liberté, énumérer ceux des
autres.
Il faudrait des pages pour commenter tout le mal que la
langue peut faire. Pour passer le temps (alors que Dieu dit de la racheter)
quelqu'un plaisante; un second approuve, retient la plaisanterie pour pouvoir,
le cas échéant, la replacer avec autant de succès.
Les manifestations de ce mal sont innombrables. Sans remords, on prend
un secret plaisir à répandre le venin de la calomnie sur
ses frères. Ce n'est pas que l'on ignore qu'il est injuste d'attaquer
un absent ...Si quelqu'un pense être religieux et qu'il ne tienne
pas sa langue en bride, le service religieux de cet homme est vain (Jacques
1:26).
On peut mettre le mors aux chevaux pour les faire obéir.
Toute espèce de bêtes sauvages a été domptée
par l'homme, mais pour la langue, personne n'est parvenu à la dompter
ni à l'asservir.
Remontons à la source. La Parole de Dieu, toujours
pénétrante, nous livre les origines secrètes de ce
vice. Elle déclare: "De l'abondance du coeur, la bouche parle.".
Méditons ces quelques mots de la Bible, et souvenons-nous
que: "de toute paroles oiseuses que les hommes auront prononcées,
ils devront rendre compte au jour du jugement". Quels sont les remèdes?
La crainte de Dieu, sa Parole, son Esprit, son Amour dans nos coeurs.
La crainte de déplaire au Dieu qui nous a sauvés,
nous a rachetés, nous a données une telle part et une telle
espérance. Sa Parole qui nous donne de si puissants correctifs quand
elle trouve l'écho dans nos coeurs: "Tu n'iras pas çà
et là, médisant parmi ton peule" (Lévitique 19). Son
Esprit qui nous conduit dans toute la vérité. Son amour qui
nous porte à donner notre vie pour nos frères.
Je rappellerai ci un trait connu de l'histoire d'Esope,
fabuliste grec. Son maître Xanthus lui ayant donné l'ordre
d'acheter au marché ce qu'il y avait de meilleur et rien autre chose,
Esope acheta des langues qu'il fit accommoder à toutes les sauces.
Les convives ne tardèrent pas à s'en dégoûter.
"Hé, qui a-t-il de meilleur que la langue? C'est le lien de la vie
civile, la clé des sciences, l'organe de la vérité
et de la raison."
Et bien, reprit Xanthus, qui prétendait l'embarrasser,
achète-moi demain ce qu'il y a de pire. Le lendemain, Esope, ne
fit encore servir que des langues disant que la langue est la pire des
choses qui soit au monde. "C'est la mère de tous les débats,
la nourrice de tous les procès, la source des divisions et des guerres.
Si elle est l'organe de la vérité, elle est aussi celui de
l'erreur, et pire de la calomnie".
Ces paroles prononcées 500 ans avant Jésus
Christ sont toujours d'application.
Mais qui ce sujet de la médisance, et considérons
ensemble le bien immense qu'a fait et que peut faire ce petit membre. La
bénignité (indulgence, douceur, condescendance affectueuse)
de la langue est un arbre de vie (Proverbes 15:4).
L'épître de Jacques au chapitre 3 place trois
choses devant nous. D'abord le très petit gouvernail d'un navire,
ensuite un petit feu qui allume une grande forêt et enfin une fontaine
qui fait jaillir par la même ouverture le doux et l'amer.
Le petit gouvernail amène au port la navire et
sa cargaison si précieuse, et ce malgré les éléments
contraires. C'est l'image du bien que la langue peut faire lorsqu'elle
est bridée et que nous sommes rendus capables de gouverner notre
manière de parler par les principes de la nouvelle nature en Christ.
Par elle, nous bénissons le Seigneur et Père (et nous savons
que la louange est bienséante, chose agréable à Dieu
et qui est appelée bonne - Psaume 147). Par elle aussi, ceux qui
craignent l'Eternel durant un temps particulièrement mauvais, relaté
dans le livre de Malachie, parlent l'un à l'autre et captivent ainsi
l'attention du Grand Dieu qui a fait les cieux et la terre, de telle sorte
que l'Ecriture dit: "Il a été attentif".
Par la langue encore, nous nous consolons l'un l'autre
(1 Thessaloniciens) en nous occupant du glorieux retour du Seigneur Jésus
Christ. Par elle, nous nous édifions l'un l'autre sur notre sainte
foi. Et ainsi, encouragés, nous poursuivons la route qui est devant
nous. Par elle, nous pouvons faire connaître l'oeuvre merveilleuse
de notre Sauveur, nous pouvons nous exciter l'un l'autre à l'amour
et aux bonnes oeuvres, remuer les coeurs de telle sorte que la Personne
de Christ nous devienne toujours plus sensible. Ainsi, nous pouvons acquérir
un titre que l'on ne rencontre pas souvent dans les Saintes Ecritures:
"fils de consolation".
Par elle, nous pouvons ramener un égaré
dans le bon chemin, sauver une âme de la mort et couvrir une multitude
de péchés. Par elle, nous pouvons aussi consoler la veuve
et l'orphelin; nous pouvons dire des choses si précieuses de la
Personne de Jésus quand notre langue est comme le style d'un écrivain
habile.
Par elle, nous pouvons parler de Celui qui a été
crucifié, amener une âme à la connaissance de ce si
grand salut et permette au Ciel de se réjouir. Nous pouvons également
bénir ceux qui nous persécutent et, service si précieux,
nous prions.
L'éternité livrera tous les secrets résultats
de ce travail de la prière, de l'intercession et de la supplication.
L'Ecclésiaste dit: "Les paroles de la bouche du
sage sont pleines de grâce" ... ou, en quelque sorte, sèment
la salut.
La langue peut être bien employée pour chanter
les louanges du Seigneur et ainsi permettre à la joie selon Dieu
de s'extérioriser; "Si quelqu'un est joyeux qu'il chante des cantiques".
Ecoutons la voix de la sagesse. Le psalmiste peut dire:
"Toutes les paroles de sa bouche sont selon sa justice et en elle rien
de pervers ni de tortueux" et David ajoute, comme un prend garde solennel:
"La parole n'est pas encore sur ma langue que voilà, ô Eternel,
tu la connais toute entière".
Dieu est l'auditeur attentif de toutes nos conversations.
Qu'Il nous donne la grâce d'y songer davantage. Et si nous le réalisons,
la chose est certaine, Il nous bénira.
"Celui qui garde sa langue garde son âme de détresse"
et encore "Le rapporteur divise les intimes amis".
- Maurice Capelle
|