Markale, Jean
Chez les moines celtes, la prière, qu'elle soit commune ou
individuelle, était fondée sur la récitation des
Psaumes.
Chaque moine apprenait les Psaumes par coeur et devait en
principe les réciter en entier tous les jours. Les prières
étaient
accompagnées de prostrations et de génuflexions. Mais
il
semble que ce sont des prières privées, nommées
loricae en
latin, qui soient les plus intéressantes à observer.
En effet, ces loricae n'ont rien de commun avec les
prières rituelles en usage dans l'ensemble de la chrétienté.
Ce
sont des sortes de litanies composées d'invocations répétées
selon un certain rythme. Le point de départ est une formule
toute faite et apprise par coeur, mais le développement de la
prière elle-même est une authentique improvisation où
l'imagination se donne libre cours. Nous connaissons
certaines de ces loricae: elles sont assez surprenantes par
leur tonalité, par leur sensibilité. L'âme de l'orant
s'abandonne sans retenue à sa foi, à son mysticisme,
et cela
dans un langage emphatique qui emprunte beaucoup à la
poésie lyrique et épique. La méthode semble calquée
sur
celle des bardes qui, à partir de quelques vers mémorisés
d'une façon définitive, brodaient sur le thème
et racontaient
de vastes épopées sur les héros de l'ancien temps.
L'analogie est si frappante qu'il ne faut pas douter de
l'influence exercée sur les moines chrétiens d'Irlande
et de
Bretagne par la tradition ancestrale épique.
Ces loricae ont également un aspect magique. Ce sont
réellement des incantations. Plus que des prières au
sens
romain du terme, c'est-à-dire des méditations, ce sont
avant
tout des charmes destinés à fléchir la volonté
de Dieu et lui
faire accomplir les actions qu'on lui demande. Il y a dans ces
loricae quelque chose de commun avec le redoutable geis
celtique, cette incantation magique qu'on lançait parfois sur
quelqu'un et dont le caractère était obligatoire sous
peine de
mort, de honte ou de rejet de la communauté. Par certains
aspects, ces loricae sont en fait des prières contre Dieu.
Encore une fois, nous retrouvons, à travers cette pratique,
le
souci des moines celtes d'être avant tout des héros capables,
par le dépassement et la force intérieure, de modifier
le
destin. L'idée n'est pas chrétienne. Il ne s'agit pas
de
soumission à la volonté divine: au contraire, le but
recherché
est de soumettre Dieu à la volonté humaine. C'est un
thème
qui est de toute évidence druidique, et que l'on retrouve dans
la pensée d'un Pélage, pour qui, seule la volonté
pouvait
permettre à l'homme de se sauver.
P'ailleurs, ces loricae, comme le fameux «jeûne contre Dieu»
de Patrick et des grands saints irlandais, ont des affinités
avec des rituels magiques en usage dans le chamanisme. Ces
loricae remontent très loin dans la préhistoire des Celtes.
Et elles ont survécu dans des formules liturgiques, les
litanies notamment, ainsi que dans des prières populaires.
Comme on leur a attribué des vertus particulières à
différentes époques, et qu'elles ont été
rejetées par le clergé
officiel, elles ont été récupérées
bien souvent par les sorciers
de village et par les guérisseurs de toutes sortes, lesquels
affirment toujours, même à notre époque, que leur
pouvoir
de guérison provient d'une formule qu'ils récitent en
«touchant» le malade, formule bien entendu secrète
et qu'ils
ne transmettent qu'à un successeur désigné ou
choisi par
eux.
Jésus
Mt.6:7 En priant, ne multipliez pas de vaines paroles,
comme les païens, qui s'imaginent qu'à force de paroles, ils
seront exaucés. 8 Ne leur ressemblez pas, car votre Père
sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.
Jean
1Jn.5:14 Nous avons auprès de lui cette assurance,
que si nous demandons quelque chose selon sa volonté, il nous écoute.
15 Et si nous savons qu'il nous écoute, quelque chose que
nous demandions, nous savons que nous possédons la chose que nous
lui avons demandée.
Rheault, Yvan
Manifestement, les moines celtes et les catholiques qui
les ont imité par après avec leurs litanies ont mis en oubli
cet avertissement de Jésus. Il est tout à fait prétentieux
de penser faire fléchir Dieu à force de lui répéter
sans cesse les mêmes choses, il n'est tout de même pas le juge
inique de la parabole.
Plutôt, l'attitude du chrétien dans la prière
est celle qu'avait Jésus, qui était prêt à mettre
sa volonté de côté pour faire celle de son Père.
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